« Dans l’œil de l’archange » d’Olivier Weber : vie et mort de Gerda Taro, photoreporter dans la guerre d’Espagne.

Evoquer la guerre d’Espagne, c’est avoir en tête la photo de ce milicien qui s’écroule sur le front des combats lors de la bataille de Cerro Muriano en 1936. C’est l’une des images emblématiques signée Robert Capa à qui on devra plus tard les premières photos du débarquement allié sur les plages de Normandie en juin 1944.

On oublie pourtant la femme qui fut sa compagne durant la guerre civile espagnole et qui comme le dit Olivier Weber aurait pu être « l’une des photographes du siècle » si la mort ne l’avait pas emportée alors qu’elle allait fêter ses 27 ans. Elle s’appelait Gerda Pohorylle. Elle était juive allemande, échappée des premières prisons de l’Allemagne nazie et réfugiée en France.

Robert Capa et Gerda Taro à la terrasse du « Dôme » à Paris-Montparnasse…

Elle s’attribua le nom de Gerda Taro et donna celui de Robert Capa à son compagnon, juif hongrois qui s’appelait en réalité Endré Friedman. Gerda fréquentait le Paris des intellectuels, celui des écrivains, des artistes et des journalistes dans le quartier de Montparnasse. Mais elle voulait rester une femme libre et Capa ne sera finalement que l’un de ses amants qui l’étouffa sans doute par sa personnalité.

Avec les prémices de la guerre civile espagnole et l’ascension du général Franco, elle sentit rapidement monter les périls sur le vieux continent : « le feu qui couve en Espagne n’est qu’un petit brasier eu égard à l’incendie qui se prépare ailleurs en Europe… » dit-elle.

Milicienne républicaine à l’entraînement. Photo de Gerda Taro.

C’est la destinée de cette jeune photoreporter sur fond de guerre d’Espagne que nous raconte Olivier Weber dans son roman « Dans l’œil de l’archange ». Son engagement politique la conduisit avec Robert Capa à mener le combat aux côtés des brigades internationales avec comme seule arme son appareil photo 6×6. C’est là qu’elle trouva la mort, écrasée par un char républicain en 1937 sur le front de Brunete. Elle avait 26 ans.

L’auteur décrit ainsi sa passion pour le reportage : « le Rolleiflex est son arme et son bouclier à la fois, elle ne se croit pas invincible, non, mais les bruits de la guerre et l’étonnant silence qui suit les déflagrations, celui, d’avant les plaintes, les gémissements des blessés, sont une drogue, une musique qu’elle ne connaissait pas, qui l’apaise… »

Le petit livre de François Maspéro qui inspira Olivier Weber dans sa connaissance de Gerda Taro. La photo de couverture est de Robert Capa.

« Dans l’œil de l’archange » est certes un roman mais il se déroule au plus près de la réalité, avec de solides bases historiques, résultat des connaissances et de la passion de l’auteur pour son sujet.  Olivier Weber a fouillé dans quelque soixante-dix ouvrages retraçant les événements de cette époque. Certains personnages sont inventés d’autres sont bien réels. On y découvre par exemple le rôle ambigu et douteux qu’ont joué les Soviétiques durant la guerre d’Espagne, profitant du conflit pour purger les rangs des républicains ou s’emparant en douce des réserves d’or de la banque d’Espagne. Un certain Orlov, agent de la Loubianka basé à Madrid et répondant directement aux ordres de Staline organisa ainsi le transport des caisses de lingots jusqu’au port d’Odessa dans la Crimée soviétique.

Une photo prise par Gerda Taro dans la guerre d’Espagne et retrouvée dans la ‘valise mexicaine ».

Malgré une carrière éclair de quelques années, Gerda Taro aurait pu rester dans l’histoire du photoreportage comme l’une des premières femmes reporter de guerre, mais son compagnon Robert Capa a raflé la gloire et quelque peu étouffé l’œuvre de cette femme. A tel point que certaines images dont elle était l’auteure ont été attribuées à Capa. Il faudra attendre la découverte de la fameuse « valise mexicaine » en 2007 pour retrouver certains de ses négatifs et rendre justice à celle qui prit le risque de les réaliser.

A travers la vie de Gerda Taro, c’est bien une vaste fresque de la guerre d’Espagne qu’Olivier Weber déroule dans cet ouvrage.  Elle nous conduit jusqu’au cimetière du père Lachaise dans ce triangle où reposent également Balzac, Chopin et Molière, pour des funérailles presque nationales, organisées par Louis Aragon en personne et orchestrées par le Parti communiste français.

En ce 1er août 1937, une foule immense est venue rendre hommage à cette photographe militante avec des milliers de fleurs, de couronnes, de poèmes. Robert Capa suit le cortège et culpabilise en pensant que c’est lui qui a attiré Gerda sur les chemins de la guerre d’Espagne. Mais à l’heure de son décès, il n’est déjà plus son amant, remplacé par Jonathan Werner, journaliste et militant américain qui assista la photographe de guerre dans ses derniers instants mais arrivera trop tard pour participer à ces funérailles grandioses. Aujourd’hui c’est encore là, dans le plus grand cimetière de Paris que repose Gerda Taro.

Philippe Rochot

Une réflexion sur “« Dans l’œil de l’archange » d’Olivier Weber : vie et mort de Gerda Taro, photoreporter dans la guerre d’Espagne.

  1. Le livre d’Olivier WEBER est passionnant.
    Y a-t-il des épisodes de la vie de Gerda TARO qui ont été inventés par l’auteur?
    Notamment, la raison pour laquelle Gerda est devenue autonome, en amour et en volonté?
    Évidemment, j’aimerais avoir le point de vue de l’auteur?
    L’interventionnisme des russes est-elle accentuée par rapport à la realité?
    Merci d’avance pour les explications.

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