Afghanistan : trois saisons dans les prisons des talibans. Récit des dix mois de détention du journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi

Il a gardé ce regard franc et amical qu’on lui connaissait avant. Les 284 jours de détention de Mortaza Behboudi dans les prisons afghanes n’ont pas affecté sa personnalité attachante et ses motivations. A son retour à Paris le 20 octobre, ce journaliste de 29 ans livre son témoignage dans les locaux de Reporters sans frontières. Son épouse Aleksandra est à ses côtés. La voix est calme et posée, la parole interrompue parfois par quelques larmes, quelques sanglots quand il évoque le traitement qui lui a été réservé et sa soif de liberté.

La rumeur courait qu’il s’était fait interpeler à un barrage à Kaboul en allant retirer son accréditation de journaliste au ministère de l’information. Le taliban de service aurait alors constaté qu’il était sur la liste noire et l’aurait fait embarquer… Mais Mortaza Behboudi nous livre un autre récit.

Il prend d’abord soin de donner le ton : « la Médiatisation m’a sauvé dit-il. Je n’imaginais pas rester vivant. »

Sur la plage de Douarnenez, la forte mobilisation pour la libération de Mortaza Behboudi.

« Le 5 janvier je suis arrivé à Kaboul pour un reportage commandé par Libération. J’avais besoin de photos pour mon article. J’ai la carte de presse afghane et la carte de presse française. Je suis allé à l’université de Kaboul, il y avait un rassemblement de filles qui voulaient passer leur thèse et qui ne pouvaient pas entrer. Il y avait là un garçon qui faisait le lien entre la fac et les filles. J’étais en train de faire des interviews et de prendre des photos quand un taliban est venu me demander qui j’étais, pourquoi j’étais là. J’ai montré ma carte de presse afghane et ma carte de presse française mais je n’avais pas ma carte d’identité afghane sur moi, j’avais juste mon passeport français. Il m’a dit « suis moi ! » et il m’a emmené au commissariat du 3ème arrondissement de Kaboul. Ils m’ont fouillé et mis dans une petite chambre noire. Les interrogatoires ont commencé quelques heures après.

J’ai vu là des membres de Daech arrêtés et torturés devant moi. Au bout de dix jours j’ai été transféré au centre de renseignements de Kaboul. Je n’imaginais pas rester vivant.

Ils m’ont gardé un mois avec toujours des questions et des questions. Il fallait avouer que j’étais un espion des services de renseignements français et que j’amenais de l’argent pour la résistance. Ils m’ont dit « la France soutient la résistance en Afghanistan ». Au parlement français des députés avaient affirmé soutenir la résistance, pareil au sénat, et aussi des politiques français comme BHL. Ils m’ont montré sa photo alors que mes yeux étaient bandés et mes mains menottées. Tous les jours.

J’ai dit, moi je suis seulement un journaliste ; vous avez ma carte de presse afghane. J’ai rien fait d’illégal. J’ai fait des allers retours une vingtaine de fois avec des médias français. Normalement, en tant que journaliste franco afghân, je n’avais pas besoin d’autorisations parce que j’ai une carte de presse afghane ; d’ailleurs ils ont gardé toutes mes affaires et ne me l’ont pas rendue. Ils m’ont juste laissé mon passeport français.

Paris: Mortaza de retour parmi ses confrères. A gauche, son épouse Aleksandra, à droite Solene Chalvon Fioriti, grand reportere, spécialiste de l’Afghanistan. Le 25 oct 2023.

Après 20 jours difficiles, la personne qui m’interrogeait aux services de renseignements m’a dit : « Ah on ne peut rien faire avec vous, on peut pas vous tuer parce que vous êtes partout dans les médias. » Après ils m’on transféré à la prison B40 de Kaboul où se trouvaient 1200 prisonniers politiques, notamment des étrangers, Autrichiens, Australiens, Américains et deux Chinois…

Je me suis senti kidnappé parce que pas de jugements, rien, enfermé dans des chambres de 2 ou 3 mètres carrés avec 11 ou 12 personnes, parfois mélangé avec des membres de Daech et les autres, harcelé tout le temps « c’est vous le connard à la télé ! » et ils se permettaient de me frapper. Au bout de six mois, une délégation officielle des talibans est venue me voir à la prison B40 du renseignement en me disant « vous êtes innocent, mais pourquoi vous n’avez pas parlé à un responsable ici ? » J’ai répondu « Je ne suis même pas autorisé à aller aux toilettes, je reçois la nourriture sous la porte, comment voulez vous que je puisse parler à un responsable ? »

Mortaza en reportage dans la région de Bamyan. A la fois journaliste, photographe, fixer, traducteur…

Pendant six mois j’ai pas pu voir le ciel, j’avais perdu la notion du jour et de la nuit, j’avais même pas l’heure.

Le lendemain ils nous ont transféré avec d’autres personnes, des personnalités politiques, des activistes, comme un ami à moi qui était dans l’éducation, transféré lui aussi à la prison publique de Pul-e-Charki . Et là y avait 2 ou 3000 personnes. On avait accès au téléphone public, on avait droit à 2 heures de pause au soleil par jour. Après on m’a dit que RSF m’avait pris un avocat. Au bout d’un mois, première audience, puis deuxième troisième etc…

Chaque fois en fait, on m’accusait d’espionnage et de soutien à la résistance. Mais ils savaient que j’étais innocent : le mufti, le mollah religieux m’a dit à la cinquième audience : « J’ai déjà dit au juge qu’il fallait te libérer à la première audience. »

J’ai donc été acquitté de toutes les charges d’espionnage et de soutien à la résistance, sauf que là, on a eu un accord. Ils savaient tout sur moi: les reportages, les articles, les liens sur les sujets faits avec les collègues et tous les médias avec qui j’ai bossé. Et ils m’ont dit : « vous avez fait des reportages négatifs ». J’ai répondu que j’avais eu les autorisations. « Pas pour faire des reportages négatifs » ont-ils dit. Mais on ne valide pas nos reportages auprès des talibans avant publication.

Ils m’ont fait signer un papier que la prochaine fois je ne devais pas suivre les journalistes étrangers s’ils vont dans des manifs à Kaboul ou s’ils vont faire des reportages négatifs sur les talibans. Il faudra les valider avant publication. C’est donc un document que j’ai signé. Et le juge m’a dit ; « ça nous suffit, vous êtes libre ! »

On m’a alors renvoyé à la prison de Pul-e-Charki et j’ai été libéré le mercredi vers 18h (18 oct 2023).

La prison est assez isolée, il fallait marcher 20 minutes et ensuite j’ai rencontré le représentant européen qui m’a évacué. Ils ont dû aussi négocier avec les talibans… Même au dernier moment ils ne voulaient pas me lâcher à l’aéroport de Kaboul parce que j’étais toujours dans le système des services de renseignement. Ils ont dû négocier et ils m’ont laissé partir… J’avais tous les documents tamponnés signés par le juge comme quoi j’étais acquitté de toutes les charges.

Mortaza en reportage au camp de Moria en Grèce, parmi les migrants.

« Amener de l’argent à la résistance »: c’était le titre de mon dossier. Ils me disaient :  » l’état français vous donne de l’argent, le parlement vous donne de l’argent, BHL vous donne de l’argent et vous vous amenez cet argent là pour la résistance en Afghanistan.« 

On sait très bien que le commandant Massoud était un ami des français, tout comme Ahmed Massoud son  fils.

Un moment j’ai cru que je serais libéré mais ça ne s’est pas fait. J’ai appris plus tard que Ahmed Massoud était en visite à Paris. Ils m’ont encore gardé en me disant, « oui voilà Massoud est à Paris pour recueillir l’argent à votre place ! » J’ai été victime de ça, du soutien de l’état français à la résistance afghane.

Aujourd’hui ils arrêtent les journalistes, les « fixers » sur place qui travaillent pour les médias occidentaux et les accusent d’espionnage. Je ne suis pas seul. Il y a d’autres occidentaux et européens emprisonnés en ce moment en Afghanistan.

Le juge m’a dit : « le petit taliban n’aurait pas dû vous arrêter parce que vous aviez tous les documents et maintenant les plus hauts placés ont dû intervenir pour vous libérer. Pour justifier les dix mois de prison, les dix mois de torture. »

Et Mortaza de conclure : « Je retournerai en Afghanistan. Pas tout de suite mais un jour. C’est mon pays !! »

PS: au lendemain de ce récit, notre confrère confiera sur France Inter que certains compagnons de cellule ont voulu l’étrangler. « On était douze dans une chambre et il y avait des membres de Daech qui voulaient me tuer parce que j’étais de la minorité hazara. Pendant plus de 7 mois je n’ai pas entendu ma mère, ma femme, je les voyais en rêve. Parfois je voyais ma tante, 3 ou 4 min ; j’étais forcé de dire que tout va bien.

Philippe Rochot

Photo de Une : capture d’écran France2.

Une réflexion sur “Afghanistan : trois saisons dans les prisons des talibans. Récit des dix mois de détention du journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi

  1. Je rends grâce à Dieu éternel pour votre libération, il a fallut du temps mais on emprisonne juste le corps et non l’esprit. EncoRe courage grand homme 💪💪💪

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