Mortaza Behboudi, journaliste d’exception aux mains des talibans.

Rencontrer Mortaza Behboudi, c’est d’abord un choc : celui d’un regard franc, pénétrant et avenant. Je fais connaissance avec ce jeune Afghan alors qu’il vient de débarquer à Paris et gravite autour de la Maison des Journalistes, association qui aide les reporters étrangers réfugiés en France. D’emblée il fait l’effort de parler français. Il en a la volonté et les facultés. Il apprendra notre langue très rapidement.

A la Maison des Journalistes à Paris.

Réfugié ? Il connait le problème. Il est né à Kaboul mais il a rapidement connu l’exil avec sa famille qui se replie sur l’Iran après la première prise du pouvoir par les talibans en 1996. Mortaza travaille dès l’enfance dans une usine de briques, puis de tapis pour payer sa scolarité. Rapidement il est attiré par la photographie. La révolte iranienne de 2009 lui offre un terrain d’exercices idéal dans lequel il va se donner sans compter. Il sera arrêté à l’âge de 15 ans par les gardiens de la révolution puis relâché. C’est sans doute là que nait sa vocation de journaliste et reporter.

Au Prix Bayeux en 2022.

Les Afghans ne sont guère appréciés en Iran, ce qui le pousse en 2012 à retourner dans son pays natal, l’Afghanistan pour suivre des stages dans les médias locaux. Il a 17 ans. Le reportage est sa vocation mais il en voit rapidement les limites : journalistes inquiétés, menacés, médias censurés, affrontements entre tribus et groupes armés toujours présents. « La guerre commencée par les talibans est une grande source de violence raconte-t-il. A partir de 2015, les talibans et l’Etat Islamique ont créé des trous noirs d’information dans tout le pays. Il est alors devenu évident que je devais partir. »

Dans Kaboul encerclé par les talibans (1996). (c) Ph Rochot.

Mortaza débarque en France et connait pendant plusieurs semaines la vie de SDF : la rue pour dormir, les soupes populaires pour manger. Il raconte cette épreuve sans aucune honte, comme un passage obligé. Mais pareille existence forge son caractère et dope sa volonté de réussir dans le métier de journaliste. Mortaza Behboudi crée une agence : Guiti news où il défend la cause des migrants et des réfugiés.  Une quinzaine de journalistes y travaillent, toujours en binôme : un Français, un migrant sur chaque reportage. Ces regards croisés feront l’originalité de ce nouveau média.

 Alors que le covid paralyse la France et l’Europe en 2020, il va partager le sort des milliers de migrants du camp de Lesbos en Grèce, raconter leur existence, leur sort, leur détresse. Ses reportages sont diffusés sur une chaine internationale. Il obtient la nationalité française cette année-là, un élément qui lui sera sans doute utile aujourd’hui dans sa détention.

Grâce à son engagement et ses qualités, Mortaza s’impose dans les médias. Il organise et négocie des reportages en Afghanistan pour les journalistes des grandes chaînes de radio et de télévision : France 2, TV5 Monde, Arte ou des quotidiens comme La Croix ou Libé. Il fonctionne comme fixeur, traducteur, monteur, caméraman, mais reste reporter dans l’âme et réalise aussi ses propres reportages comme cette série intitulée « À travers l’Afghanistan, sous les talibans », publiée sur le site de Mediapart.

En 2022, il est récompensé par le prix Bayeux des correspondants de guerre pour un reportage réalisé avec Dorothée Ollieric sur « Les petites filles afghanes vendues pour survivre »

Afghanistan, en reportage dans la région de Bamyan avec Nicolas Auer et Dorothée Ollieric.

Mortaza Behboudi est à l’aise sur le terrain afghan, de par sa connaissance de la langue, des gens, du pays, de la société et surtout de l’état d’esprit des populations. Avec les équipes de reporters français, il parvient à traiter des sujets difficiles comme ces familles démunies dans un pays exsangue qui vendent leurs enfants ou ces jeunes filles qui manifestent pour pouvoir continuer d’aller à l’école.

Il est clair que pour les talibans ses reportages dérangent. Les nouveaux maîtres de Kaboul veulent le bâillonner, l’intimider et avec lui les journalistes étrangers qui viennent en Afghanistan pour parler de la détresse du peuple afghan. Et comme il faut trouver un prétexte à son arrestation, les autorités l’accusent d’espionnage. Ce genre d’argument est régulièrement évoqué par tous les intégristes et les régimes totalitaires qui redoutent les vérités lancées par les journalistes. L’Afghanistan des talibans ne fait pas exception. 

Philippe Rochot

2 réflexions sur “Mortaza Behboudi, journaliste d’exception aux mains des talibans.

  1. Regarder le monde c’est être un miroir libre et indépendant. Ceux qui veulent le briser sont des lâches et des barbares. J’espère que Mortaza retrouvera la liberté et que son regard témoignera encore!

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