Des pinces à linge en guise de barrettes à cheveux, des abat-jour portés comme chapeaux, des épingles à nourrice en forme de colliers, ou des éponges métalliques accrochées comme des bigoudis, les photos de Zanele Muholi, artiste sud-africaine nous avaient surpris aux rencontres d’Arles il y a une dizaine d’années.

Aujourd’hui, « l’activiste visuel-le » comme elle se définit, nous revient avec une vaste exposition présentée à la Maison Européenne de la Photo et un travail très engagé sur la défense des communautés noires LGBTQIA+ (lesbiennes, gay, bisexuel, transgenre, queer, intersex et +…) Son but : donner une visibilité à ces communautés d’Afrique du Sud, souvent rejetées, moquées, méprisées pour les faire accepter, reconnaître et respecter dans son pays et dans le monde.

Pour cela, Zanele Muholi nous fait pénétrer sans réticence dans un univers où elle-même est à l’aise, où elle a ses entrées, son approche ; un monde qu’elle comprend suffisamment pour le dévoiler sans retenue, sans auto-censure, mais avec dignité et respect.
La Maison Européenne de la Photo indique que quand on écrit sur elle, il faut savoir ceci: « Elle se définit comme « non binaire et souhaite être présenté-e par l’emploi des pronoms neutres iel (sujet) et ellui (complément) « .

« Chaque personne photographiée, dit l’auteure, a une histoire à raconter, mais beaucoup viennent d’endroits où la plupart des noir(e)s n’ont jamais eu cette opportunité. Lorsque cela est arrivé, leurs voix ont été portées par d’autres personnes. Nul ne peut raconter notre propre histoire que nous-mêmes. »

On la dit arrière-petite-fille d’une famille d’esclaves. Sa mère aurait passé sa vie au service des Afrikaners. Son succès dans le domaine de la photographie militante est donc un peu une revanche sur cette Afrique du sud qui a mis fin officiellement à l’apartheid. Zanele aime rappeler que suite à l’instauration de la démocratie et l’entrée en vigueur d’une nouvelle constitution, toute discrimination sur l’orientation sexuelle des personnes est interdite. L’exemple, dit-elle, est unique au monde.

La MEP ne tarit pas d’éloge sur cette femme à qui elle attribue « le visage d’une reine », le regard braqué vers l’objectif, droit, fier et intense. Elle est présentée comme « le symbole d’une lutte acharnée contre les discriminations, la ségrégation ou la différenciation ».

Eponges métalliques en guise de bigoudis… (c) Zanele Muholi.
Ses portraits ironiques sur le regard que l’Occident porte à l’Afrique, n’occupent plus guère que 20% de la surface d’exposition. Le reste est consacré au sort des LGBTQI+ mais avec une certaine esthétique qui aide à comprendre la vie de ces communautés confrontées à la maltraitance, à la violence, au mépris. « Aujourd’hui, dit-elle, j’essaie de montrer, à travers des portraits, les valeurs esthétiques montantes au sein des groupes lesbiens noirs sud-africains. Il n’existe que peu d’images positives de nous dans les archives féministes. »

Candice Nicosi: Durban 2020. Miss Gay, Afrique du sud…(c) Zanele Muholi.
Les photos de ces concours de beauté dans la communauté LGBT sont vus comme des moments de résistance au sein de la communauté noire mais qui ont leur limite. L’artiste se demande par exemple quand on pourra montrer une femme trans en couverture d’un magazine.

Le travail photographique de Zanele Muholi qui ne compte pas moins de 500 portraits présentés, est étroitement lié à son action militante. Ses photos montrent la diversité et la singularité des membres de cette communauté noire dont le sort est peu évoqué dans la vie. Elles mettent en avant leur courage et leur dignité face aux multiples discriminations. A travers ces portraits, individuels et collectifs, elle cherche à rendre visible des personnes racisées, rejetant les stéréotypes. Et quelque part elle réussit. Le visiteur efface pour un temps ses a priori et pénètre dans cet univers si peu évoqué et expliqué dans notre système et notre culture.
Philippe Rochot

Henri et Charles se sont mariés deux fois : la première en 2007, puis la deuxième en 2012, après que l’Afrique du sud ait autorisé le mariage homosexuel.
Maison Européenne de la Photo : Paris.
Exposition jusqu’au 21 mai