La mobilisation pour Mortaza Behboudi a démarré très fort et il faut s’en féliciter. La rencontre du 9 février au Club des reporters du « 61 » avait rassemblé près de 200 personnes, quelques jours seulement après la nouvelle de son arrestation à Kaboul. Ce samedi 18 février, plusieurs dizaines de confrères et amis ont réclamé haut et fort sa libération depuis le Parvis des Droits de l’Homme à Paris, à l’initiative de Reporters Sans Frontières.

Aleksandra, l’épouse de Mortaza Behboudi, plaidant la cause de son mari. Paris, Trocadéro 18 février 2023. (c) Ph Rochot.
Tous les journalistes pris en otage ou placés en détention arbitraire par des régimes autoritaires sans scrupule n’ont pas forcément la chance de bénéficier d’un soutien immédiat. Mais Mortaza qui a travaillé pour une bonne dizaine de rédactions françaises de télévision ou de presse écrite s’est fait rapidement connaitre par ses qualités humaines et professionnelles. La solidarité a donc pu jouer à plein dès que son arrestation a été connue.

Graphisme sur Mortaza, extrait du site FB de Elyahasehas.
Ces rassemblements et cette mobilisation ne suffisent pourtant pas à obtenir la libération d’un homme, mais elles font pression sur le pouvoir politique en France et interpellent le régime taliban qui détient Mortaza.
Peu d’informations circulent sur son sort. Il ne serait pas détenu à la prison de Pul-e Charkhi à Kaboul, le cauchemar des afghans, mais dans une cellule de la sécurité d’état ou des services de renseignement. Il est en tout cas localisé mais on ignore ses conditions de détention. Reporters Sans Frontières affirme avoir un contact avec ceux qui le détiennent et l’accusent d’espionnage.

Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters Sans Frontières et Antoine Bernard de RSF. (c) Ph Rochot
Il est clair que ces accusations avancées par les talibans pour justifier son arrestation ne tiennent pas la route. Tout reporter capturé par un régime dictatorial, un mouvement intégriste ou un groupe terroriste se fait traiter d’espion tant la parano et l’ignorance animent ses acteurs. Le moindre détail peut se retourner contre vous : un numéro trouvé sur votre smartphone, une image suspecte sur une carte mémoire ou un simple doute sur l’usage d’une caméra et d’un micro.

Mortaza Behboudi au camp de Moria en Grèce, parmi les réfugiés afghans. (capture d’écran Arte)
J’ai encore en mémoire le récit de l’interrogatoire de notre confrère Jacques Abouchar, arrêté durant l’occupation soviétique alors qu’il tentait d’entrer en Afghanistan clandestinement en passant par le Balouchistan. Il avait sur lui sa carte de sécurité sociale et ce mot de sécurité faisait tiquer les communistes afghans qui l’interrogeaient et l’accusaient d’appartenir à la police française…
Mortaza n’est pas un espion, il est 100% journaliste insistent ses confrères. Mais au-delà de ces accusations qui servent de prétexte, sa détention est sans doute un avertissement adressé au monde des médias : « ne mettez pas trop le nez dans nos affaires et dans notre mode de vie » semble nous dire le régime taliban.

Combattants de l’Alliance du Nord. Région de Jalalabad. 2001. (c) Ph Rochot.
Dans ces conditions, tout reportage et toute information concernant ce pays doit être réfléchie avant d’être lancée. Il faut trouver un juste milieu entre la couverture libre de ce « royaume des insoumis » et le risque de mettre en danger la vie de ce journaliste.
En réalité Mortaza Behdoudi n’est pas un prisonnier. C’est un otage, comme le sont les Français arrêtés en Iran. Dans ces conditions, avons-nous quelque chose à offrir en échange de sa libération ? Mortaza a la chance d’avoir la nationalité française, acquise récemment et cela lui servira sans doute. Mais quel dialogue peut s’instaurer aujourd’hui entre Paris et Kaboul, entre le pouvoir politique français et le régime taliban ? Pas de « téléphone rouge » comme du temps de l’occupation soviétique, ni même de « téléphone vert ». L’ambassade de France à Kaboul est fermée, tout comme l’ambassade d’Afghanistan à Paris. La négociation pourrait cependant passer par le Qatar, allié de la France et ami des talibans puisque c’est Doha qui a servi de base arrière à ce régime, négocié le départ des forces de l’OTAN et favorisé sa prise de pouvoir.

Amis de Mortaza ou défenseurs de la liberté de la presse : 18 février 2023. (c) Ph Rochot.
Quelque part, Mortaza est donc otage des talibans et nous avec lui ; c’est pour cela qu’en défendant Mortaza nous défendons aussi notre profession ; en plaidant sa cause, nous plaidons aussi la nôtre, celle de pouvoir raconter en toute liberté.
Philippe Rochot
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