Chine : mirages et fantasmes sur la nouvelle route de la soie… Philippe Rochot

Urumqi, capitale du Xinjiang, peuplée de 90%de Hans (l’ethnie majoritaire en Chine). « Carrefour et KFC » devant la grande mosquée… (P. Rochot)

Le seul nom de « route de la soie » a de quoi faire rêver. On y sent l’odeur des épices, celle du cuir usé des selles de chameaux et la douceur des soieries. En baptisant ainsi la nouvelle ceinture économique destinée à enserrer l’Asie centrale dans un carcan économique, la Chine a misé juste. Mais la nouvelle route de la soie qui se dessine ne sera pas parcourue par des caravanes, ne passera pas par les pistes chamelières et transportera bien d’autres choses que des étoffes.

C’est toute la technologie chinoise qui continuera de pénétrer sur notre vieux continent.

l-xinjiang-karakolMosquée à Yarkan: Xinjiang. (PR)

Car le maître du jeu sera bien l’Empire rouge qui se détourne des nations du Pacifique et s’oriente un peu plus vers l’Europe dans ses nouveaux choix économiques et stratégiques. Dans son livre intitulé « la gouvernance de la Chine » Xi Jinping définit clairement ses intentions : « Nous devons construire un pont de croissance et de prospérité qui reliera les deux grands marchés chinois et européens afin de réaliser le grandiose objectif d’élever le montant du commerce bilatéral à mille milliards de dollars en 2020 ». Le N°1 chinois a lancé ce projet en 2013 à l’occasion d’une visite officielle au Kazakhstan.

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Xi Jinping parmi les Ouighours du Xinjiang: 2014.

Les nations d’Asie centrale par l’odeur du yuan alléchées, ont toutes adhéré à ce projet de « nouvelle route de la soie ». Il concerne à présent soixante-cinq pays d’Asie et d’Europe qui ont accepté de renouer avec cet itinéraire mythique. Et il est étonnant de voir qu’à l’heure du repli de l’Amérique de Trump et du Brexit britannique, c’est un leader de la Chine communiste qui plaide pour le libéralisme, l’ouverture économique et la mondialisation…

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Route de la soie, telle qu’elle apparaît dans notre imaginaire. Kashgar, Xinjiang. (PR)
Les 40 milliards d’euros déjà investis depuis deux ans ont permis de construire des routes, des ponts, des voies ferrées, des centrales thermiques, des barrages. La méthode chinoise consiste à établir des jalons tels que des grandes réalisations tout au long des itinéraires des anciennes « routes de la soie », puis de joindre ces points d’ancrage et étendre ainsi son influence. Détail important : les traités signés avec les états prévoient que la Chine reste propriétaire des infrastructures installées dans les pays amis et peut intervenir pour les protéger en cas de problèmes. On appelle ça « l’ingérence sécuritaire » mais d’autres y verront une violation possible de la souveraineté nationale.
L’objectif inavoué de Pékin est le même qu’en mer de Chine où l’Empire rouge avance ses pions sur les différents ilots revendiqués par le Vietnam, les Philippines ou Taiwan. Il s’agit d’étendre la domination économique et de « protéger » les terres conquises.
Xi Jinping habille cette initiative d’un discours poétique et historique, celui de la main tendue et de l’amitié entre les peuples, destiné à étouffer toute contestation, rappelant qu’il y a plus de 2000 ans, « un émissaire de la dynastie des Hans chargé d’une mission de paix fut envoyé en Asie centrale, inaugurant ainsi les échanges amicaux avec ces peuples de l’ouest ». Ces « peuples de la route » étaient romains, ottomans, arabes, indiens, persans et commerçaient avec des épices, des pierres précieuses, des tissus et bien sûr de la soie. La route faisait plus de six mille kilomètres, traversant la Chine sur quatre mille kilomètres puis l’Inde, le Pakistan, l’Iran l’Irak et la Syrie avant de gagner la méditerranée.

tadjikistan-douchambeLa grande mosquée de Douchanbé au Tadjikistan. (Ph. Rochot)
Aujourd’hui, la route a bien sûr changé d’aspect. Elle est aussi maritime. Il faut pouvoir gagner l’Europe par les océans et surtout sécuriser cet itinéraire menacé par l’instabilité autour des ilots de la mer de Chine ou les risques de piraterie dans le détroit de Malacca, le golfe d’Aden ou le détroit d’Ormuz…L’empire de Xi Jinping se voit assez bien devenir le gendarme qui va sécuriser cet itinéraire. Ca n’est pas de l’expansionnisme nous dit-on à Pékin mais simplement une nécessité de protéger le commerce. Personne ne songe d’ailleurs à s’opposer aux « offres » de la Chine. Les Philippines ont accepté de renoncer à une partie de leur souveraineté sur les ilots contestés en échange d’un soutien économique chinois, apprécié par le nouvel homme fort de Manille, sans scrupules et sans peur, Rodrigo Duterte. La route maritime passera donc par ces îles, contournera l’Inde du sud et longera l’Afrique de l’est avant de gagner la Méditerranée et l’Europe.

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Le Muztagata,  ou « le père des montagnes de glace », 7500m d’altitude, prés de la frontière entre Chine et Pakistan. (Photo Ph. Rochot)

La route terrestre elle, part symboliquement de Xi’an, l’ancienne capitale chinoise. Elle traverse la province du Xinjiang, la terre des Ouighours, ces musulmans turkmènes mal intégrés qui rêvent d’un mythique « Turkestan oriental ». Itinéraire incontournable mais à risque; à « sécuriser » également, d’autant que la Chine extrait dans cette région dite autonome près de 30% de son pétrole. Pékin a signé pour cela, quelques mois avant les attentats du 11 septembre 2001, un traité de coopération sécuritaire avec les états de la région : Russie, Kazakhstan et trois autres pays d’Asie centrale. Ce traité dit de Shanghai vise essentiellement les « mouvements séparatistes » qui restent la bête noire de la Chine. En tête, le « mouvement du Turkestan oriental » qui signe la plupart des attentats antichinois dans la région.

chine-xinjiang-kashgarKashgar: image de propagande de Mao Zedong fraternisant avec un paysan ouighour.

La route de la soie nouvelle formule risque donc de faire monter la tension d’un cran car elle va développer la « colonisation » han (l’ethnie chinoise) dans ces territoires musulmans de l’ouest de la Chine. Or il y a déjà dans cette province autant de Hans (l’ethnie majoritaire) que de Ouighours et la capitale du Xinjiang, Urumqi est à 90% peuplée de Hans. Depuis les affrontements de 2009 entre Hans et Ouighours qui ont fait plus de deux cents morts, la route de la soie est donc placée sous haute surveillance. Et ça marche : en dix ans le commerce entre Chine et Asie centrale via la province du Xinjiang a été multiplié par cent.

almaty-kazahstan-2011Kazakhstan: l’université d’Almaty. La « route de la soie du savoir »…

La région devient ainsi un carrefour donnant naissance à deux routes : l’une qui continue vers le Kazakhstan et l’autre vers l’Inde, le Pakistan et l’Afghanistan. La Russie voit donc cet itinéraire lui échapper quelque peu. En revanche l’Amérique de Trump n’observe pas d’un mauvais œil les Chinois veiller à la sécurité de « l‘Afpak » (terme employé par les militaires occidentaux pour désigner ce foyer du terrorisme que représente la région Afghanistan-Pakistan) et réussir à rétablir l’ordre là où la coalition internationale a échoué.
Chine et Russie ont resserré les coudes face à l’occident durant ces cinq dernières années mais la Chine reste maitresse du jeu. Elle demeure le premier importateur des pays d’Asie centrale et son commerce avec les Etats-Unis est cinq fois supérieur à celui qu’elle entretient avec la Russie. La Chine entend utiliser l’argent qu’elle ne peut pas réinvestir chez elle en finançant des projets extérieurs en « Eurasie » ce que la Russie n’est pas en mesure de faire. De même la Chine lorgne vers la Sibérie pour aspirer son trop plein de population, ainsi que vers la Mongolie, même si la zone reste sous influence russe…
La Russie subit donc la politique chinoise et se sent tenue à l’écart par ce projet de route de la soie. Moscou a bien lancé un contre-projet, l’Union eurasiatique afin de freiner la force de frappe de la Chine, mais sans grand succès.

xinjiang-kashgarDémonstration de force de l’armée chinoise en région musulmane.

La projection de la Chine sur l’Europe par la « nouvelle route de la soie » est aujourd’hui visible avec la version ferroviaire qui se développe de jour en jour. Le « China Railway Express » assure à présent la liaison de seize villes chinoises avec quinze villes européennes. Un symbole, la ligne Wuhan-Lyon, inaugurée au printemps dernier : quinze jours pour faire 11 000 km, c’est trois fois plus rapide que le fret maritime. Dans les containers qui arrivent sur l’ancienne cité des soyeux, on trouve des pièces de rechange automobile, des ordinateurs, des téléphones, des vêtements. Mais ces trains repartent souvent à vide vers la Chine.
La France se réjouit d’avoir pu exporter vers Wuhan quelque cinq mille caisses de vin de Bordeaux à l’été 2016 mais nous n’avons guère d’autres produits à offrir aux Chinois. La prochaine étape pourrait voir l’ouverture de cette « route de la soif » à la grande distribution : Carrefour, Auchan etc…
La liaison Chine-Europe se développe mais doit être améliorée. L’écartement des voies est par exemple le même en Chine et en France mais entre nos deux pays il y a les territoires de l’ancienne Union Soviétique qui fonctionnent avec des standards différents. Il faut changer huit fois de locomotive et faire appel à vingt conducteurs différents pour assurer cette liaison Wuhan-Lyon. Résultat : le coût du transport est deux fois plus élevé que pour le fret maritime mais néanmoins plus rentable.

 

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Le « China Railway Express » s’ouvre maintenant aux passagers sur la ligne Wuhan-Duisbourg. Le rêve du nouveau timonier chinois est en train de prendre forme. Mais l’évolution de la politique internationale avec le repli de l’Amérique de Donald Trump, le Brexit dur qui va se mettre en place et la montée en puissance des partis européens demandant le renforcement des frontières ne lui donnera pas forcément raison.
Philippe Rochot

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