« Un juif au Vatican » : le témoignage de Bruno Bartoloni qui côtoya sept papes en un demi-siècle. Ph Rochot

Le Vatican est le plus petit état du monde, protégé par une centaine de gardes suisses mais il rassemble près d’un milliard et demi de fidèles et entretient des relations diplomatiques avec près de 180 pays. Comme tout état, il est le théâtre de luttes d’influences, de complots, de manœuvres, de scènes de vie surprenantes, de mystères. Place Saint-Pierre: apparition de Paul VI (en haut à droite) 1972. Photo Ph Rochot

L’homme qui nous raconte la vie au Vatican fut le correspondant de l’Agence France Presse auprès du Saint-Siège durant près d’un demi- siècle. Bruno Bartoloni a couvert le règne de sept papes. Dans la salle de presse du Vatican il était connu de tous pour le regard gentiment ironique avec lequel il observait la vie des prélats. On connaissait moins son passé.
Bruno Bartoloni était le fils d’une juive allemande et d’un journaliste italo-argentin. Il a été converti au catholicisme pour échapper aux rafles des nazis. Il a ensuite grandi au Vatican où son père était devenu le premier correspondant de presse à couvrir l’actualité du Saint-Siège dès 1922 : un « vaticaniste » disait-on à l’époque.

Le Vatican est le plus petit Etat du monde mais veille sur un milliard et demi de croyants: Jérusalem, pèlerinage en la vieille ville, 2014.

C’est donc en toute logique que Bartoloni dédie son livre à sa famille juive allemande. Il dresse des portraits émouvants de ses aïeuls avec des récits poignants sur le destin de ces hommes et ces femmes qui pour la plupart se retrouvèrent dans les camps de la mort à Auschwitz ou Treblinka. Les autres tentèrent de se sauver en embrassant la religion catholique mais souvent en vain.
« Mes grands-parents, Fritz et Hilde se convertirent dans l’espoir d’échapper à la mort, devenant des « marranes » (allusion aux juifs sépharades de la péninsule ibérique convertis de force au catholicisme). Je fus moi-même baptisé par nécessité et non par choix. Je peux donc exhiber avec orgueil le noble titre de « marrane ». C’est en marrane que j’ai raconté le Vatican au cours des cinquante dernières années. »
Mais l’auteur a gardé présente à l’esprit la dimension juive de la culture allemande qui brilla sur l’Europe durant la république de Weimar. « Berlin après Paris était devenue le centre culturel de l’Europe. Aucune ville ne pouvait se flatter de compter autant de prix Nobel, dont Albert Einstein pour ne citer que lui. »


L’ouvrage que nous laisse Bruno Bartoloni montre qu’il est devenu le gardien de la mémoire de cette famille en errance mais aussi de l’histoire du Vatican où il a baigné dès son plus jeune âge.
Avec l’humour qu’on lui connaît, il se décrit comme un galopin qui parcourait les couloirs, les salles immenses et les jardins du Vatican. Sans doute a-t-il gardé à jamais cet esprit malicieux dans la couverture des événements qui ont marqué la vie du Saint-Siège, ce qui lui permet de nous livrer tant d’anecdotes :
« Les jardins étaient surveillés par les gendarmes depuis le jour où Pie XII qui y allait régulièrement se promener son bréviaire à la main, fut surpris par une pèlerine espagnole qui avait réussi à rentrer en cachette et qui se jeta à ses pieds au sortir d’un buisson.»


Il raconte également : « Au Vatican, le dernier urinoir public a résisté jusqu’à la fin des années 60 sous les fenêtres du Pape, dans le passage conduisant de la caserne des gardes suisses à la porte de bronze. Cette vespasienne était une étape régulière pour les hallebardiers en service. On raconte qu’elle fut éliminée pour éviter les regards furtifs et coupables des religieuses du premier étage. »
Le jeune Bruno connaissait même la cache où étaient stockés les pénis amputés des statues (par pudeur) et minutieusement conservés.
De même : «Jusqu’à la fin des années 1950, les cardinaux portaient une traîne de cinq mètres. Des valets étaient chargés de soulever la « coda », la queue. Jean XXIII décida d’en diminuer la longueur : « Ce fut une catastrophe car sans le poids de l’étoffe, la traîne devenait incontrôlable. »
Bartoloni décrit la vie au Vatican pendant la Seconde guerre Mondiale avec sa police secrète qui avait infiltré la gendarmerie pontificale. L’ambassadeur du Japon réfugié au Vatican jouait au golfe avec l’ambassadeur de Chine réfugié également sous la protection de Paul VI et bien entendu tous étaient placés sous écoutes. « Le puissant cardinal Nicola Canali était responsable des écoutes téléphoniques qu’il confiait aux bonne sœurs » écrit-il.
« A la fin de la guerre, les espions nazis firent place aux espions soviétiques. Parmi eux, de nombreux prêtres et séminaristes qui s’infiltraient dans leurs collèges ecclésiastiques nationaux à Rome. »
Le Vatican comptait aussi dans ses rangs des agents du contre –espionnage car l’endroit était un nid d’espions : le père Graham était chargé de les débusquer et les journalistes l’avaient surnommé le 007 du Vatican. « Durant cinquante ans, il démasqua des espions qui, derrière la porte de bronze en soutane ou camouflés en journalistes, jouaient double et même triple jeu… Il découvrit ainsi qu’un certain Domenico Russo, un journaliste catholique très observant était devenu en réalité un agent de la Gestapo. »


Bartoloni raconte le décès de Pie XII annoncé avec plus de 24h d’avance par l’agence de presse Italie. A l’heure où tout le monde guettait la mort du pontife malade à qui l’on prêtait tant de miracles, cette jeune agence concurrente de l’agence officielle Ansa avait interprété le carillon de Saint-Pierre diffusé par la radio du Vatican, comme le glas sonnant la mort du pape…Tous les quotidiens ont embrayé derrière cette « fake news » ce qui fit scandale en Italie.
« Un juif au Vatican » permet à l’auteur d’aborder tous les aspects de la vie quotidienne des papes: le vêtement, la nourriture, les rapports avec les femmes. On apprend ainsi que le jeune Karol Wojtila fut amoureux d’une certaine Halina avec laquelle il partagea le goût du théâtre et de la danse mais sans doute rien de plus…Il était aussi très à l’écoute de sœur Pascaline, la seule femme travaillant dans son entourage et qui désinfectait régulièrement ses mains, baisées par des centaines de croyants.
La piscine offerte au pape Jean-Paul II par des fidèles canadiens fit dire au souverain : « une piscine pour tenir un pape en forme coûte moins cher qu’un conclave ». Une journaliste sud-américain parvint à voler l’image du pape dans sa piscine et vendit le cliché plus de 400 000 € au journal Corriere della Sera.
L’auteur évoque aussi les « fugues » de Jean-Paul II vers les montagnes, à pied ou à ski et ses pique-niques improvisés. Il rencontre un jour un paysan stupéfait de trouver le souverain assis dans l’herbe au bord d’un ruisseau en train d‘ouvrir quelques conserves et s’entend dire de la voix du pape: « Le bonheur est une boite de sardine.»


Visite du pape Jean-Paul II sur sa terre de Pologne: 1979.

Il faut baigner dans l’atmosphère du Vatican comme Bruno Bartoloni pour aborder le problème de la gestion des hosties et du vin de messe : « Les prêtres africains et asiatiques voulant mettre fin au colonialisme religieux occidental, réclamèrent l’usage d’hosties de riz ou de maïs et non de farine et de la bière ou du saké pour la messe à la place du vin difficile à trouver, car Jésus qui avait vécu entouré du blé et des vignes de Palestine, avait dû utiliser des produits locaux… On vend aujourd’hui plus de quinze mille litres de vin d’autel par jour et la consommation annuelle dépasse les cinq millions cinq cent mille litres. »
Plus sérieusement on apprendra que le pape Jean-Paul II s’était lié d’amitié avec François Mitterrand et que Jean Guitton joua les intermédiaires afin d’aider ce président qualifié de « roi socialiste curieux de Dieu » à s’interroger sur l’au-delà…

Berlin: synagogue de Oranienbourg. Cérémonie marquant la chute du mur de Berlin: 1991.

La fin du mur de Berlin permit à l’auteur de boucler la boucle et de retourner, avec le pape Jean-Paul II, à la recherche des souvenirs de sa famille. Retrouver la maison de ses grands-parents fut bien sûr un choc: « Alors se matérialisèrent les membres de ma famille victimes des camps d’extermination. Je vis mon grand-père Fritz avec sa large main rassurante serrant la mienne lorsque nous allios nous promener dans les jardins de la via Pristina à Rome ».
Philippe Rochot
Un juif au Vatican
Bruno Bartoloni. Editions « Presses de la Renaissance »

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