Quel avenir pour le photoreportage ? Les grandes lignes de mon intervention au salon de la Photo (14 nov. 2016)

Patrick Chauvel dans ses archives, en préparation de la Fondation qui porte son nom.. (c) Ph. Rochot 2015.

Les photoreporters ont du mal à vivre mais la photo d’actualité a envahi notre quotidien. Il ne faut pas s’en plaindre. J’attaque cette conférence par une photo du pape François au Mur des lamentations à Jérusalem, accompagné d’un représentant de la communauté juive et de la communauté musulmane. C’est l’une des images qui a rencontré le plus de succès à la « Crystal galerie ». Cette galerie, basée à Saint-Ouen est celle de l’Agence France Presse. Elle vend des photos d’actualité sous le slogan : « quand le photojournalisme devient photo d’art ».

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L’AFP a même signé un contrat avec « Habitat » pour la distribution de plusieurs milliers d’images. Un cliché 50/60 se négocie 200 euros et l’auteur récupère un pourcentage non négligeable quand l’image est distribuée à  5000 exemplaires.
Cette exploitation des images d’actualité est un créneau pour les photoreporters. Il faut s’en féliciter…A l’heure où les photos de reportage sont bradées sur Internet il existe donc d’autres débouchés et notamment les galeries. Au printemps dernier l’atelier Yann Arthus-Bertrand organisait une expo intitulée « les années 80 » qui rassemblait les œuvres d’une trentaine de photoreporters les plus célèbres de la place de Paris : Depardon, Rostaing, Bouvet, Simon, Demudler etc… avec Alain Mingam comme commissaire qui allait se montrer quelque peu déçu : « la réalité de la guerre ne se vend pas » nous dit-il… Le « people » avec Bardot ou Gainsbourg s’est bien négocié, la guerre un peu moins. Le débouché en galerie est pourtant une belle perspective pour les gens d’image.

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Certains photographes «cartonnent » carrément tels Don McCullin ou James Nachtwey avec ses photos du 11 septembre, vendues comme photos d’art. Des reporters comme Steve McCurry ou encore des photographes décédés restent des valeurs sûres, tels Gilles Caron ou Henri Cartier-Bresson dont les œuvres peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros.
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Steve McCurry: une valeur sûre du reportage. (expo de Turin 2016)


En achetant une photo de Gilles Caron, les amateurs achètent un fragment d’histoire. La valeur esthétique seule de l’image peut aussi les attirer. Les photos de Gilles Caron se vendent entre 3500 et 25 000 euros. Elles ont trouvé cette année encore une place sur le marché de la photo d’art à «Paris Photo » aux côtés de celles de Don MacCullin, son copain et concurrent.

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D’autres photoreporters moins cotés parviennent aussi à s’imposer en galerie comme on l’a vu avec Henri Bureau et sa célèbre photo prise au début de la guerre Irak-Iran ou celle du général de Gaulle de retour d’Allemagne durant les événements de 1968.

Citons également la vente de 50 photos de l’agence Gamma pour les 50 ans de la création de l’agence avec les grands noms du photoreportage tels François Lochon, Raymond Depardon, Michel Laurent, Georges Mérillon, au profit de « Reporters sans frontières ». Seul le tiers des images proposées a été vendu pour des sommes variant entre 500 et 1500 euros. Les photos les plus demandées n’étaient pas des photos de guerre mais celles de personnages plus populaires comme Brigitte bardot ou Steve Jobs…

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Le site de Pierre Morel (capture écran.)


Pour la jeune génération de photographes (et je prends l’exemple de Pierre Morel), il faut utiliser à fond les réseaux sociaux. Ce jeune photoreporter de 28 ans parvient à collaborer avec une bonne trentaine de revues et à exister sur la scène internationale avec des images parues aussi bien dans la presse américaine que coréenne. Comme la plupart des jeunes talents de l’image, il travaille avec le collectif « Divergences » qui met directement en rapport photographes et éditeurs. Il accorde aussi de l’importance à son site photo pour lequel il n’a pas oublié de mettre un volet « Corporate », qui lui ouvre la porte des photos de mariage ou de sport, (ski freeride en l’occurrence…) Le « Corporate » est devenu un complément de ressources indispensable pour les photographes.

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Le livre-photo peut-il représenter une source de revenus appréciable pour les photographes ? On dit qu’il se vend mal mais certains parviennent à percer. D’un côté on voit un grand photoreporter comme Alain Keler qui édite à compte d’auteur son livre « 1982 » consacré à cette année chargée en événements, de l’autre on voit deux femmes-reporters comme Véronique de Viguerie et Manon Quérouil, éditer chez La Matinière, photos et récits de reportage sur les coups durs de l’actu : Afghanistan, Nigéria, Kurdistan : bonnes images et aventures passionnantes en « terrain miné ». Et ça marche !
D’autres sont carrément sortis du cadre du photoreportage comme Michel Setboun qui parvient à nous séduire sur un sujet mille fois traité : Paris… Avec son « Paris lumière noire », il contourne le problème éternel du droit à l’image en captant les Parisiens à contrejour, habile formule qui nous permet de rester dans la dimension poétique d’un théâtre d’ombres.

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Il faut également citer le « Champs de bataille » de Yann Morvan, très belle étude en images sur ce qu’il reste des terres de conflits. Cet ancien reporter de guerre se replace dans une nouvelle dimension, historique et artistique, salutaire sans doute après plusieurs décennies de couverture à chaud de l’actualité.
Pour Patrick Chauvel la suite est naturellement tracée. La naissance de la Fondation qui porte son nom lui permettra de laisser un héritage qui couvre un demi-siècle d’événements majeurs, de la guerre du Vietnam à la Tchétchénie en passant par le Liban et l’Afghanistan.

Gérer son propre fonds de photographies, voilà une façon naturelle de rebondir. Mais l’homme veut surtout en faire profiter les autres : « Il faut que cet argent et cette énergie servent à d’autres gens. J’essaye de retrouver des images de photographes oubliés, comme ceux du nord-Vietnam. Il faut se rappeler qu’ils ont eu 210 tués. De même il y a aujourd’hui vingt photographes cubains en tôle. J’ai fait sortir leurs photos. On va faire une expo, ça va les aider à sortir. On devient comme ça le gardien du travail des photographes oubliés ».

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Patrick Chauvel et la « valise du père », Jean-François, qui fut lui même grand reporter au Figaro et réalisa de nombreux documentaires pour la télé. L’objet ira dans la collection de la Fondation PC. (c) Ph Rochot.


Durant cette conférence au Salon de la Photo, j’aborde le reportage en France, le parent pauvre du métier. Le Droit à l’image est devenu si strict dans notre pays que plus d’un photographe hésite avant d’entreprendre un sujet dans l’hexagone… On le constate à « Visa pour l’image » : moins de 10% des photos de reportage sont consacrés à la France. Je cite néanmoins des photographes comme Frédéric Briois avec ses sujets réalisés lors de la pêche en haute-mer ou encore cette jeune photographe Stephanie Pfeiffer qui a eu l’audace de lancer un site internet baptisé « gueules de Parisiens » où elle publie de simples portraits de gens croisés dans la rue.

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Les passants sont surpris, distants, puis curieux et finalement amusés. Ils finissent par se prêter au jeu de la photographe et pausent pour elle détendus. Tous les gens cités au cours de cette conférence sont motivés, passionnés, ce qui me fait dire que le photoreportage a encore de beaux jours devant lui.
Philippe Rochot

http://www.philippe-rochot.book.fr/
philippe-rochot.piwigo.com/
(Intervention du 14 novembre 2016 sur le stand de « Compétence Photo)

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