Un itinéraire en islam radical, «Islamistan » de Claude Guibal. Ph Rochot.

Les livres sur le Jihad ne manquent pas, avec des titres choc : « Dans la nuit de Daesh, Inside Daesh, Jinan esclave de Daesh, Au cœur de l’armée de la terreur, Dans la peau d’une jihadiste, Terreur dans l’hexagone »…
Face à cette avalanche de récits pour le moins anxiogènes, le livre que propose Claude Guibal, « Islamistan, visages du radicalisme » permet d’aborder le sujet avec un peu plus de sérénité.

Islamistan visages du radicalisme

Dans un premier temps, on découvre le radicalisme ordinaire, vécu par des familles, des hommes et des femmes, adeptes des Frères musulmans ou qui suivent les rigueurs du wahabisme et de son extension, le salafisme. Ces récits sont ponctués des éléments historiques essentiels pour comprendre l’attitude des sociétés du monde arabo-musulman.

Iran revolution 1979 (2) (Copier)Iran: prière à l’Université de Téhéran.  (c) Philippe Rochot.
L’auteure qui fut durant quinze ans correspondante au Caire pour de grands médias français, accorde une place essentielle à cette Egypte qui a renversé son président, Hosni Moubarak pour finalement remettre en place les militaires après une parenthèse d’un an assurée par les Frères musulmans, tout en confortant dans le même temps cette radicalisation rampante… Bonne observation quand la journaliste écrit:  » la réislamisation du pays, entamée dans les années 1970 (a été) entretenue par les travailleurs partis pour le Golfe et revenus au début des années 1990, avec la guerre du Golfe, pétris des normes wahabites en vigueur en Arabie saoudite et dans les émirats.

Bonne observation encore quand Claude Guibal débarque au Caire en 1997 où le niqab est presque l’exception. « Il aura suffi d’une poignée d’années à peine pour que le voile devienne la norme chez les musulmanes et le niqab, presque une banalité ».
L’auteur a rencontré des femmes en mesure d’analyser leur condition avec lucidité comme cette égyptienne, née d’une famille très conservatrice, mariée à un étudiant avec qui elle partira vivre en Allemagne. Elle aura le choc de sa vie en voyant un peuple passionné par le naturisme, qui se livre nu à la nature dès les premiers beaux jours. Un choc qui lui permettra de porter un jugement sans nuance sur la situation de la femme au Proche-Orient. « Nous vivons dans une société profondément machiste, l’homme contrôle la femme, on fait en sorte d’éviter qu’elle soit un objet de désir, on évite qu’elle puisse être désirée pour ne pas en être privé. Dieu et la foi n’ont rien à voir avec ça. C’est cette lecture machiste du fait religieux qui nous enferme ».

C Guibal Arabie 2011 Radio France

Claude Guibal (au centre) lors d’un reportage en Arabie saoudite: 2011. (site franceinter.com)

Les «visages du radicalisme » décrits par Claude Guibal nous emmènent bien au-delà du problème du voile ou de celui de ces saoudiennes qui n’ont pas le droit de conduire. J’ai retenu le récit de la naissance de la première télévision arabe pour femmes : Mariya TV, avec à sa tête l’autoritaire Cheikha Safaa, qui organise le travail d’une trentaine de présentatrices voilées et lâche cette réflexion à propos du voile : « La nature respecte Dieu. Regardez ! Même les bananes ! Ne sont-elles pas couvertes ? »
On apprend dans ce livre que « le rire devant un homme est interdit car il est un instrument de séduction ». On visite en Arabie saoudite une usine de confiserie où des femmes travaillent avec des horaires décalés pour ne pas croiser les hommes et des salaires nettement inférieurs. Les transports en commun étant interdits aux femmes, elles arrivent dans l’entreprise à bord d’un bus spécial qui passe les prendre chez elles. Mais ces femmes peuvent travailler et c’est un progrès. L’épouse du patron confie sans retenue : « c’est parce qu’il faudra des femmes dans les usines que les chefs d’entreprise feront pression sur le pouvoir pour créer des transports en commun pour elles». On s’étonne de rencontrer une femme-médecin Selwa, la première à franchir les portes du palais royal pour y soigner hommes et femmes sans distinction de genre. « Pour un ultrareligieux dit-elle, je ne suis pas une femme mais un médecin. J’existe par ma fonction par mon métier. On ne s’en sortira que par l’éducation. »

Claude Guibal explique à juste titre la montée imparable de l’islamisme politique au Proche-Orient par des moyens très simples : « L’islamisme politique a surfé sur les failles des états, sur la mauvaise gouvernance, sur tous les démons de Pandore, s’engouffrant dans les vides laissés par l’absence d’action sociale, compensant les défaillances en multipliant les œuvres caritatives au nom d’Allah… »

Le jeu politique a parfois favorisé la montée des mouvements radicaux. Le pouvoir égyptien a aidé les salafistes afin de contrer l’influence des frères musulmans. Et l’administration américaine a joué le jeu des moudjahidines d’Afghanistan et d’Oussama Ben Laden pour lutter contre l’intervention soviétique.

10 years of Guantanamo - Close Guantanamo Now
Manif pour la fermeture de Guantanamo ( image Amnesty International: 11 février 2012.)

Cette série de portraits et de situations que nous livre l’auteure, trouve un aboutissement dans une situation extrême : Guantanamo, dont Barak Obama avait promis la fermeture mais qui accueille encore une centaine de détenus. Le témoignage de Mourad Ben Chellali, « matricule 150 du camp X ray et ennemi combattant », comme l’identifie l’administration américaine, enfermé à « Gitmo » durant deux ans et demi, torturé, mis au secret avec lavages de cerveau à la clé, a quelque chose de glaçant : « pour radicaliser un homme, dit-il, le faire basculer pour de bon dans le Jihad on ne s’y prendrait pas autrement. » Rappel historique capital: le groupe Etat islamique est né « dans les prisons irakiennes à la faveur de l’intervention américaine en Irak en 2003 ; il est issu de la rencontre de la branche la plus radicale d’El Qaïda, de mafieux et de hauts cadres de l’armée et des services de Saddam Hussein. »

Aujourd’hui Mourad Ben Chellali se bat pour empêcher les jeunes de s’engager sur les routes du Jihad : « On peut partir en Syrie dit-il parce qu’on a envie de se la raconter, parce qu’on veut emmerder le monde et pour qu’on parle de nous, parce qu’on éprouve de la jouissance à exister. On part parce qu’on a envie de poser sur Facebook avec une Kalachnikov, parce qu’on veut rejoindre quelqu’un qui est déjà parti, parce qu’on a la haine contre la société, parce qu’on n’a pas de boulot et parce que l’Etat islamique lui, propose autre chose ».
Du radicalisme ordinaire rencontré dans les rues du Caire jusqu’aux situations extrêmes du type Guantanamo, c’est bien l’itinéraire qui conduit au Jihad que nous livre l’auteur de « Islamistan, visages du radicalisme » à travers ces multiples portraits.

Philippe Rochot

Islamistan : visages du radicalisme : Claude Guibal. Editions Stock :18 €.

3 réflexions sur “Un itinéraire en islam radical, «Islamistan » de Claude Guibal. Ph Rochot.

  1. Merci Philippe pour tes choix et sélections de livres qui nous éclairent au milieu de cette nébuleuse…
    Je passe commande ce jour pour « symboliquement » marquer ce 8 mars…
    Bravo et belle continuation.

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  2. A M. Philippe Rochot,
    Merci pour ce commentaire éclairé et détaillé du livre Islamistan. Ce matin du 24 mars, l’auteure est intervenue dans une discussion avec Jean Birnbaum et le public dans le cadre du 7-9h de Patrick Cohen sur France Inter. J’ai eu envie d’en savoir davantage sur le livre. A la différence de sites comme Amazon dont les ‘commentaires clients’ sont habituellement brefs et presque systématiquement élogieux, vous avez fourni suffisamment d’éléments pour me donner l’envie d’acquérir le livre. En passant, je note que la première photo du blog, d’une ruelle avec des personnages vus de dos, est vraiment superbe.
    Je suis médecin, spécialisé en santé publique. Travaillant essentiellement en Afrique sub-saharienne, je ne suis pas directement concerné par la problématique islamiste, que je connais superficiellement. Cela ne m’empêche pas d’avoir envie de mieux la connaître, pour ensute pouvoir en parler en famille. Cela m’apparaît d’autant plus nécessaire que nous habitons Bruxelles, où les attentats se sont produits il y a 48h à peine…

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