Du Liban à la mer de Chine, les « french doctors » de José Nicolas. Ph Rochot.

« Je ne crois pas en Dieu mais parfois il me manque. » José Nicolas aime citer cette phrase du romancier Julian Barnes pour exprimer ses états d’âme sur la couverture des tragédies du monde. Etonnant parcours que celui de ce sergent du 3ème RPIMA envoyé au sud-Liban en 1978 dans le cadre de la force des Nations unies (FINUL). Il va se prendre de passion pour les multiples épreuves vécues par le pays du cèdre et basculer dans la photographie. En côtoyant sur place les grands noms du photojournalisme dès la fin des années 1970 il va se tourner vers le reportage et couvrira notamment la chute de Saïgon et le calvaire des boat people.

Mer de Chine, 1987. (c) José Nicolas.

Une vilaine blessure en 1983 lui fournira l’occasion de basculer définitivement dans le monde de l’image. Alors qu’il reprend du service au sein de l’armée et patrouille dans les quartiers d’un Beyrouth en ruine, il est touché par un tireur embusqué et gravement blessé. Réformé, il va donc troquer son Famas contre un Réflex, échanger le viseur du fusil d’assaut contre celui d’un 24×36, pour son plus grand bonheur.
Autre élément déterminant dans sa nouvelle carrière : la rencontre avec Bernard Kouchner, à l’époque patron de l’ONG qu’il vient de fonder, Médecins du Monde, une « dissidence » de Médecins sans Frontières qui contribuera largement à la réputation des « french doctors ». Leur devoir est de soigner bien sûr, mais aussi de témoigner, de briser les silences complices, de profiter de leur présence sur un terrain de guerre pour dénoncer les crimes, rejoignant ainsi la mission première du journaliste.

C’est l’époque où les photographes et les gens des ONG marchent main dans la main dans une communauté d’intérêts bien compris : le médecin aide le journaliste à pénétrer sur le terrain des combats, à rencontrer les victimes tandis que le journaliste fait connaître au monde les conflits ou les catastrophes, permettant aux ONG de recueillir de l’aide.
Bernard Kouchner évoque avec nostalgie dans le livre de José Nicolas cette époque apparemment révolue : « Les reporters d’image étaient des compagnons de tous les instants. Nous discutions, nous nous disputions parfois et surtout nous affrontions ensemble des périls multiples. Ils étaient de la bande. » Aujourd’hui, les relations entre les médias et les ONG ont changé : trop d’intérêts en jeu, trop de monde sur le terrain, trop de médias pas toujours fair-play, bousculant les rapports entre les hommes pour être les premiers sur le « coup. »

Kurdistan 1984. (c) José Nicolas.

Avec ses « french doctors » José nous emmène au Kurdistan d’Irak et d’Iran en 1984, chez les Peshmergas iraniens et les hommes de l’incontournable Massoud Radjavi. Il nous montre l’Afghanistan des années 80, durant l’occupation soviétique. Le seul moyen de pénétrer sur cette terre était de partir du Pakistan à pied, avec des passeurs comme Amin Wardak. Cet ancien élève du lycée de Kaboul aida quelques dizaines de journalistes à gagner les montagnes du Paktia, la région de Kaboul ou la province du Wardak dont il porte le nom. José Nicolas écrit : « dans les villages que nous traversons je vois la détresse, la souffrance, la malnutrition… Nous marchons huit heures par jour, nous mangeons peu, un peu de pain et du thé. Les hélicos soviétiques ronronnent au-dessus de nos têtes. »

L’auteur de « french doctors » en conférence au salon de la photo: 13 nov 2017.

José Nicolas se souvient des difficultés pour acheminer les reportages depuis les zones de conflit, comme en Roumanie en 1989, lors de la chute de Ceausescu. Les photographes tiraient au sort pour désigner celui qui irait porter les films à Vienne ou Budapest afin qu’ils soient acheminés sur Paris.
Malgré ces événements vécus, José Nicolas n’apparaît pas blasé comme certains reporters dont le regard s’est émoussé avec les épreuves et le temps. Il reste marqué par le génocide du Rwanda de 1994 où il sera blessé, mais ses images n’apparaissent pas dans son livre. Il parle encore avec émotion des boat people de mer de Chine réfugiés sur l’île de Poulo-Bidong : « Je me souviens de ces visages. Déjà des masques mortuaires. J’ai rarement vu autant de détresse dans un regard, autant de souffrance et de terreur… J’ai toujours pensé et parfois ces images me hantent encore, que ces gens revenaient de l’enfer, un voyage des ténèbres à la lumière. »
Retrouver les « french doctors » à chaque étape des reportages est un bon fil conducteur qui donne à cet ouvrage une démarche originale et nous éclaire sur l’itinéraire atypique d’un reporter d’images resté profondément humain.

Philippe Rochot

French doctors, une aventure humanitaire.

Photos de José Nicolas.
Préface de Bernard Kouchner.
Editions La Martinière : 29 €

Laisser un commentaire