Emmanuel Macron se doit de rencontrer la famille de Sophie Pétronin, otage au Mali depuis 2016… Ph Rochot

Faut-il faire un « sit-in » devant le fort de Brégançon pour que la cause que l’on défend soit prise en considération par le président Macron ? On peut le penser quand on apprend que Mme Béatrice Gallay, dont le fils Thomas est emprisonné au Maroc depuis février 2016 a été reçue par le chef de l’Etat sur son lieu de vacances. On peut aussi s’étonner de voir que la famille de l’otage française Sophie Petronin, détenue au Sahel depuis décembre 2016, n’est jamais parvenue à obtenir un rendez-vous avec Emmanuel Macron malgrè ses demandes insistantes et régulières.

Pétronin itv avec fils juin 2018 bn

Sophie Pétronin durant sa détention.(capture vidéo des ravisseurs)

Une rencontre avec un président de la République n’est pas forcément la clé pour obtenir une libération d’otage mais elle marque l’intérêt, le respect et le soutien du locataire de l’Elysée vis à vis des victimes du terrorisme. Avec lui c’est la nation tout entière qui soutient l’épreuve vécue par l’otage et sa famille. Le chef de l’Etat s’est toujours efforcé d’être présent pour les hommages aux victimes d’attentats; il est aussi de son devoir de rencontrer les familles d’otages qui en font la demande. Or les proches de Sophie Pétronin ont sollicité par trois fois sans succès un entretien avec Emmanuel Macron, notamment après la vidéo dramatique diffusée par un groupe djihadiste du Sahel en mars dernier où l’otage apparaît très affaiblie. La famille a même fait intervenir le député La République en Marche Eric Bothorel porte-parole du mouvement dans les Côtes d’Armor mais sans résultat. “On ne peut pas laisser quelqu’un comme ça » déclare à l’AFP son neveu Arnaud Granouillac.

Pétronin famille (4)

La famille de Sophie Pétronin après un entretien au Quai d’Orsay en mars 2018. A gauche, son fils Sébastien. (c) Ph Rochot.

A l’Elysée, on affirme qu’Emmanuel Macron reçoit entre 1500 et 2000 lettres par jour et qu’il ne peut pas répondre à tout le monde. Pas plus d’ailleurs que son service de presse qui n’a pas donné suite à notre demande d’explication. Les proches de Sophie Pétronin doivent se contenter pour l’heure de la déclaration du 13 juillet dernier où le chef de l’Etat affirme que ses services travaillent “sans relâche” avec une “inlassable volonté” pour retrouver l’otage.
Face à ce refus de rencontrer les proches de Sophie Pétronin, on peut trouver quelques explications: recevoir une famille d’otage pour un président français, c’est donner de l’importance à la personne détenue et donc à ceux qui la détiennent, le “Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans”. Or l’Elysée veut éviter de “faire monter les enchères” comme on dit dans ce genre d’affaire. D’où la méfiance d’Emmanuel Macron qui préfère se réfugier derrière des discours rassurants mais apparemment sans fondements. L’homme a pourtant conscience du défi lancé à la nation avec cette prise d’otage qui se déroule au Sahel, où l’armée française est présente, engagée dans l’opération Barkhane: «L’Etat agit sans relâche pour la retrouver» assurait t-il devant les hauts gradés de l’armée réunis à l’hôtel de Brienne en mai 2018 après de longs mois de silence sur cette affaire.

Mali Adrar Ifoghas soldats français en position

Mali: Soldats français en position dans l’Adrar des Ifoghas, repère djihadiste. (c) ECPAD)

On veut bien le croire mais le président de la République n’a pas toujours été très adroit dans ses déclarations. Le 2 juillet 2017 il se trouvait en visite officielle au Mali lorsque le groupe terroriste a diffusé une vidéo de Sophie Pétronin et celle d’autres otages occidentaux. Sa réaction a été immédiate: “Je veux redire ici la condamnation radicale profonde absolue de toute prise d’otage. Je ne ferai aucun honneur à ceux qui ont diffusé à dessein sa vidéo cette nuit pour que des chefs d’Etat viennent les prendre comme leurs premiers opposants ou leurs premiers ennemis. Ces gens ne sont rien”. Tout négociateur dans les affaires d’otages vous dira qu’il vaut mieux ne pas provoquer les groupes terroristes avec ce genre de propos. Emmanuel Macron ne reçoit pas la famille mais cette affaire d’otage le dérange. Il voudrait la mettre de côté, ne pas en tenir compte quand il lance une action politique ou une opération militaire au Sahel. Recevoir la famille, c’est donc à ses yeux compliquer l’histoire, introduire des sentiments qui vont perturber la position officielle.

Dans l’histoire des otages français détenus à l’étranger, il y a toujours eu un moment où le chef de l’Etat a rencontré les familles qui souhaitaient le voir. Pas forcément pour annoncer de bonnes nouvelles. Françoise Larribe, épouse de l’otage français Daniel Larribe, se souviendra longtemps de la réunion des familles des quatre otages d’Arlit avec François Hollande le 13 janvier 2013 à l’Elysée alors que les hommes étaient détenus depuis deux ans au Sahel par le groupe Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique). Le président, très ferme et très tendu, annonce aux proches médusés qu’il est “impensable de payer des rançons à des gens contre qui nous sommes en guerre” , un changement radical par rapport à la première entrevue que les familles avaient eue six mois auparavant.
S’adressant aux médias, Françoise Larribe fera part de son indignation: « Les rançons sont une goutte d’eau dans le financement du terrorisme par rapport à la drogue dans cette région. Ma famille et moi considérons qu’il se fourvoie dans sa gestion des otages, je suis dégoûtée » (itv Le Monde, janvier 2013).

Otages du Mali mille jours

Les 4 otages d’Arlit: près de trois ans de détention mais les familles ont été reçues à l’Elysée à plusieurs reprises.

Les négociations ont cependant continué mais l’Elysée voulait par ces déclarations envoyer un message fort à nos alliés allemands et américains qui accusaient la France de payer trop facilement des rançons. Sous le quinquennat de François Hollande, 21 otages ont été libérés et il aura rencontré pratiquement toutes les familles durant leur captivité.
Dans le passé les chefs d’Etat français ont toujours aménagé une heure de leur emploi du temps pour recevoir symboliquement les familles d’otages. Jacques Chirac, qui lâcha parfois quelques formules maladroites sur “ces otages qui engagent la nation toute entière” prit soin d’afficher un comportement affectueux vis à vis des proches des victimes du terrorisme. François Mitterrand dont l’attitude était souvent glaçante dans ce genre de circonstances m’a reçu pendant une heure avec mon confrère Georges Hansen, à notre demande, trois semaines après notre retour de détention au Liban en 1986. Accueil plutôt sympathique et détendu pour un homme très réticent dans les négociations avec les preneurs d’otages et ceux qui les soutiennent. Il évoqua avec nous l’épreuve du temps que doit subir un prisonnier de guerre ou un otage.
On se souviendra aussi que Nicolas Sarkozy a reçu à plusieurs reprises la famille d’Ingrid Betancourt, otage franco-colombienne détenue durant six ans par les FARC en Colombie. Bref, les contacts entre les proches des otages et les plus hautes autorités de l’Etat ont toujours existé jusque là.

Ingrid Betancourt à Nantes otages 2013

Ingrid Betancourt, otage des FARC de Colombie durant six ans, lors d’une rencontre à Nantes en 2013. (c) Ph Rochot)

Recevoir ou pas les familles d’otages et en particulier celle de Sophie Pétronin détenue depuis décembre 2016, c’est donc LA question posée aujourd’hui à Emmanuel Macron et il s’honorerait en y répondant. Il existe en tout cas un moment où le contact avec le chef de l’Etat devient inévitable, c’est lors de la libération des personnes.
Etre aux côtés des familles à l’aéroport est devenu un “must”. Le coup de projecteur qu’en donnent les médias permet une récupération politique toujours payante. Etre à l’aéroport pour accueillir un otage reste “the place to be” pour un chef d’Etat. Nul doute que cette fois Emmanuel Macron ne manquera pas ce rendez-vous si, comme nous le souhaitons, Sophie Pétronin est libérée rapidement.

Philippe Rochot

*Sophie Pétronin âgée de 75 ANS a été enlevée en décembre 2016 à Gao au nord du Mali. Nutritionniste, elle était installée depuis une quinzaine d’années dans la région et travaillait pour une association d’aide aux enfants mal nourris.

4 réflexions sur “Emmanuel Macron se doit de rencontrer la famille de Sophie Pétronin, otage au Mali depuis 2016… Ph Rochot

  1. Mille bravos Philippe pour ta prise de position sur l’épineux sujet des otages et en particulier sur le sort intolérable de Sophie Pétronin.
    Bravo pour cet acte politique que bien peu de journalistes, dignes de ce nom, osent…
    En l’occurence il se trouve que tu sais de quoi tu parles, toi, ancien otage avec tes frères d’armes, vos armes la plume et la caméra…
    Gageons qu’Emanuel Macron ne restera pas sourd plus longtemps aux demandes des familles.
    Merci à toi au nom des otages et de leurs familles.
    Amicalement,
    Julie

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  2. Merci pour cette tribune à la fois de journaliste courageux et assez solitaire sur ce sujet et a l otage qui n a pas oublié
    Je suis prête à soutenir toute action pour cette femme et à participer aux actions qui seraient décidées en sa faveur
    IL Y A URGENCE

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