Seydou Keïta et les honneurs du Grand Palais … Philippe Rochot.

La cour est poussiéreuse et écrasée de soleil. Un gamin pisse contre le mur. Des femmes à la coiffe haute et colorée attendent à l’entrée. C’est le studio de Seydou Keïta et il est là, vêtu du boubou traditionnel et de la toque des musulmans maliens.

011 1958 Geneve contemporary african art collection Seydou Keita 1950 (c) S Keita Skpeac photo courtesy CAAC picozzi collection Genève
(Pour toutes les photos de l’article (sauf la « Une ») : Geneve contemporary african art collection Seydou Keita 1950 (c) S Keita Skpeac photo courtesy CAAC picozzi collection Genève.)

Malgré la chaleur écrasante il évolue avec souplesse, aisance et passion, absorbé par ses sujets. Un tissu bariolé sert de toile de fond, de décor ambiant. Au début il utilisait son couvre-lit. Mais à présent l’homme se paye largement sur sa production de portraits et change de décor tous les deux ans.
010 1956 Geneve contemporary art collection Seydou Keita 1950 (c) S Keita Skpeac photo courtesy CAAC picozzi collection Genève

De même, son équipement évolue avec le temps… Après la chambre 6×9 en plaque de verre, il opère maintenant à la chambre 9×12 et ne dédaigne pas le Rolleiflex. Seydou Keïta se souvient qu’il a commencé avec un Brownie offert par son père et que ce père lui a donné la passion de la photographie.

007 Seydou Keita 1949 fondation Cartier Seydou Keita 1950 (c) S Keita Skpeac photo courtesy CAAC picozzi collection Genève
Nous sommes dans les années 50 et Seydou Keïta débarque dans le monde de l’image au moment où la photographie africaine porte encore l’empreinte du colonialisme finissant. On « prend les indigènes » par goût d’exotisme ou même par simple voyeurisme. Les portraits sont réalisés de face, sans grâce, sans harmonie, bruts.

006 Seydou Keyta 1949 1951
La sensibilité des jeunes photographes, souvent formés par l’armée française et employés ensuite comme assistants dans des studios tenus par des blancs, va libérer les talents. Seydou Keïta fait partie de cette école qui se développera avec les acquis de l’indépendance en 1962. Le photographe réside à quelques minutes de la gare de Bamako et son « studio » est très accessible. Les voyageurs qui arrivent de Côte d’Ivoire, du Sénégal ou de Guinée ne se trompent pas d’adresse. Avec lui les clients sont en confiance. Il ne connaît pas les gens qu’il photographie mais il connaît leur état d’esprit, leur mentalité, leur ignorance de cet engin qualifié parfois de diabolique qui va « capturer » leur image, ou même leur âme.

008 Seydou Keïta 1953

Keïta a souvent rencontré méfiance et hostilité en faisant des photos de rue. Mais dans son « studio », l’atmosphère est bon enfant. Les curieux se mêlent aux clients, des enfants jouent, des chiens passent, des femmes font la lessive dans la cour même où il travaille. Keïta ne se trouble pas, tant il est absorbé par la composition de ses sujets.
« Il y avait beaucoup d’animation autour de mon studio, il y avait tout le temps du monde, c’était un lieu de rendez-vous et de palabre. Le Tout-Bamako venait se faire photographier chez moi: des fonctionnaires, des commerçants, des politiciens. Quelqu’un qui n’avait pas fait sa photo chez Seydou Keïta ne pouvait pas prétendre avoir été photographié. C’est ça qu’on disait à Bamako. »

1956 1957 Seydou Keita 1950 (c) S Keita Skpeac photo courtesy CAAC picozzi collection Genève
Dans cet esprit, Seydou Keïta travaille la pose de ses sujets. Il a un sens étonnant de l’utilisation des mains: ces mains, ces bras dont ni le sujet ni le photographe ne savent quoi faire, il va les utiliser comme lignes de force dans son image. Ils deviennent ainsi un élément de grâce du sujet. Et la tête ! Pourquoi ces têtes droites sur les photos ? Keïta fait incliner la tête de ses personnages qui trouvent ainsi la grâce et l’harmonie recherchées pour une photo réussie. « Le portrait en buste de biais, c’est moi qui l’ai inventé… Je savais trouver la bonne position; je ne me trompais jamais ».

005 Seydou Keita 1949 1951 Seydou Keita 1950 (c) S Keita Skpeac photo courtesy CAAC picozzi collection Genève
Keïta réalisait 40 portraits par jour, avec une seule prise s’il vous plait. Seule exception: la photo de Billaly, ce gros personnage fellinien, tenant un enfant dans les bras. C’est un notable de Bamako. Il aura droit à quatre prises.
Seydou Keita demande à ses sujets d’apporter un objet, un coussin, une coiffe. Il en fournit aussi lui-même: poste de radio, service à thé, Velosolex, Vespa, tout ce qui peut valoriser le personnage est bon à prendre. Sa voiture, denrée rare à cette époque au Mali, sert également d’élément du décor. Quelle fierté pour ces familles de poser devant une Peugeot 203 ou une Simca dernier modèle !

009 1954 Geneve contemporary art collection Seydou Keita 1950 (c) S Keita Skpeac photo courtesy CAAC picozzi collection Genève

(Tirage d’époque)

Seydou Keïta n’a pas vraiment de concurrents, même si une jeune génération de portraitistes commence à percer sur la scène africaine. Il va hélas fermer son studio en 1963 pour devenir fonctionnaire de l’image à la cour du président Modibo Keïta. Il n’y avait pas d’autres photographes dignes de ce nom selon la Présidence à Bamako et Seydou doit céder aux sirènes du pouvoir. Il conserve une activité photographique au début mais se rend compte rapidement qu’il ne peut pas mener de front une activité officielle et une entreprise privée qui lui rapporte gros et fait quelques jaloux sur la scène de Bamako. Alors la mort dans l’âme il ferme son studio mais son œuvre va faire son chemin…

Expo Seydou Keyta Grand Palais Paris (2)

Expo Keita Grand Palais (Ph Rochot)

C’est elle que l’on retrouve à l’expo du Grand Palais avec 300 photographies, comprenant des tirages d’époque uniques, des publications, mais aussi des témoignages filmés où l’on voit comment travaillait le photographe dans la cour de sa maison.
Son travail fut découvert en 1991. Ses négatifs étaient très bien conservés. L’expo à la Fondation Cartier en 1994 fut une révélation pour l’occident. Keïta sera la vedette aux rencontres de Bamako la même année et ses photos seront présentées dans une galerie de New York trois ans plus tard. C’est le succès, la gloire, ce qui ne l’étonne guère. Il avait senti très tôt que ses images faisaient mouche pas seulement au Mali mais aussi en occident. Quand il s’éteint en 2001, son œuvre est largement connue dans le monde entier.

Philippe Rochot

—————-
Pour toutes les photos (sauf photo de « Une »: Geneve contemporary african art collection Seydou Keita 1950 (c) S Keita Skpeac photo courtesy CAAC picozzi collection Genève

Seydou Keïta tirage colorisé par son encadreur Seydou Keita 1950 (c) S Keita Skpeac photo courtesy CAAC picozzi collection Genève
Seydou Keïta tirage colorisé par son encadreur / Seydou Keita 1950 (c) S Keita Skpeac photo courtesy CAAC picozzi collection Genève

Une réflexion sur “Seydou Keïta et les honneurs du Grand Palais … Philippe Rochot.

  1. Un grand merci Philippe pour tous ces voyages photographiques et pas que des pays en guerre, merci pour la découverte de talents tels que Seydou Keyta.
    Une visite au Grand Palais devrait s’imposer…

    J’aime

Laisser un commentaire