Pour les médias occidentaux Mohamed Ben Salmane est d’abord ce prince héritier du royaume d’Arabie, âgé aujourd’hui de 39 ans, qui a autorisé les femmes à prendre le volant et à circuler à peu près librement dans le pays, sans « escorte » ou « tuteur » masculin. Puis l’image de MBS s’est franchement ternie avec l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en plein consulat d’Arabie à Istambul en octobre 2018. On connait les circonstances horribles et les sérieux soupçons portés sur le jeune prince.

Ces deux événements nous ont permis de cerner le personnage : volonté d’ouverture de la société saoudienne mais fermeté impitoyable vis-à-vis de tout opposant et de toute contestation à l’intérieur du pays ou à l’étranger.

Mohamed ben Salmane, dans son bureau de Ryadh, en conversation avec le premier ministre japonais. (photo Agence saoudienne de Presse)

Christian Chesnot et Georges Malbrunot vont plus loin et nous racontent les coulisses du pouvoir saoudien sous la direction du roi Salmane vieillissant et de son fils MBS, aux commandes d’un pays de 26 millions d’habitants, premier producteur d’or noir. Le comportement de l’homme tel qu’il est décrit, ses projets pharaoniques, les bouleversements d’alliance avec ses voisins et les grandes puissances, son mépris pour les visiteurs étrangers qui attendent parfois toute une nuit avant d’être reçus, ses goûts sans limite pour la construction de palais luxueux, nous éclairent sur sa redoutable personnalité.

Georges Malbrunot en conférence au Press Club. 28 mai 2024. (c) Ph Rochot.

MBS est celui qui a remis en cause les fondements même de l’Arabie, cette alliance conclue au 18^ème siècle entre la famille Saoud et les intégristes wahabites qui a permis la création d’un état unifié. Oublié également l’accord signé avec Roosevelt après la conférence de Yalta en 1945 où les Américains s’engageaient à assurer la sécurité du royaume contre la livraison de pétrole bon marché. MBS ose aujourd’hui refuser à l’Amérique de Joe Biden une augmentation de la production pétrolière. Et l’Amérique le lui rend bien quand elle rejette toute représaille contre l’Iran après le bombardement des installations de l’Aramco en 2019, attribué aux alliés de Téhéran.

Ryadh : l’ancien palais royal. (photo Philippe Rochot)

MBS a cru pouvoir écraser en quelques mois la révolte des Houthis au Yemen mais ses troupes se sont enlisées. Il a échoué de même dans sa tentative de blocus du Qatar mais il a su rebondir autrement en normalisant ses relations avec l’Iran et en signant avec Israël les accords d’Abraham.

Mohamed ben Salmane s’est octroyé les pleins pouvoirs. Il a éliminé ses rivaux au sein de la famille royale, fait enfermer pour un temps au Carlton de Ryadh les princes corrompus sans qu’aucun d’entre eux ne puisse tenter de le renverser. Certains sont encore en prison. Il a pu récupérer ainsi quelque 70 milliards de dollars au profit de l’état.

MBS est obsédé par sa propre sécurité. Mais il a su se protéger, s’entourer des gros bras de la garde royale et d’une centaine d’agents de sécurité sans reproche. A chacun de ses déplacements, les lieux sont vidés, déminés, passés au peigne fin, même dans son propre palais. « Il vit dans une paranoïa incroyable écrivent les auteurs, il a tellement d’ennemis, surtout parmi les princes qu’il a dépouillés ».

MBS en compagnie d’Emmanuel Macron : des rapports parfois difficiles. (pool photo)

En visite en France en 2022, MBS craignait d’être arrêté sous l’inculpation de crimes contre l’humanité dans le cadre de la guerre du Yemen. Un juge français avait même prononcé une réquisition contre lui. Il est pourtant parvenu à contourner l’obstacle en faisant transformer sa visite de travail en visite d’état, ce qui lui conférait l’immunité. Mais les rapports entre MBS et Macron restent tendus, plutôt froids. Georges Malbrunot voit en ces deux leaders « deux jeunes coqs à l’ego surdimensionné ».

Les auteurs ne cachent pas une certaine fascination pour le futur monarque qui secoue la tradition, rallie à sa politique une bonne partie de la jeunesse, enchaine les projets les plus osés : station de ski pour les jeux d’hiver asiatiques de 2019, cité futuriste de Neom à la frontière jordanienne ou vaste plan de réforme baptisé « vision 2030 » pour une Arabie moderne et hyperconnectée. « Les arabes, dit-il, ont raté la révolution industrielle, ils ne doivent pas rater la révolution numérique ». Simple poudre aux yeux ? Ces projets réussiront-ils ? Rien ne semble arrêter MBS dans sa quête du progrès à tout prix pour l’Arabie de demain.

Tous ces détails et anecdotes se retrouvent dans le livre de Chesnot/Malbrunot « MBS confidentiel ». L’alliance entre les deux auteurs semble bien rôdée puisqu’ils bouclent ici leur neuvième ouvrage commun.

Philippe Rochot