De l’Everest au K2, le grand chambardement. « Himalaya business » de François Carrel.

La foule des grimpeurs qui piétine sur l’arête, la file d’attente interminable, les cordes entremêlées, les déchets, l’image du sommet de l’Everest en ce mois de mai 2019 a fait le tour des médias et des réseaux sociaux. Cette photo, on la doit à l’alpiniste anglo-népalais Nirmal Purja (pseudonyme, Nimsdai), l’homme qui a bouclé en six mois l’ascension des 14 sommets de plus de 8000 mètres. Il est devenu héros national en son pays, le Népal. On l’a même surnommé le « Messner népalais ». Sauf que le tyrolien Reinhold Messner a gravi les 8000 sans oxygène, sans hélico pour aller d’un camp de base à un autre, sans la structure imposante comme celle qui a soutenu Nirmal Purja durant ce défi et sans Netflix pour en sortir un film et transformer cet exploit en vaste entreprise commerciale.

Nirmal Puja, l’homme le plus rapide des 8000, tel qu’il apparait sur son site Facebook. (capture d’écran)

François Carrel, auteur de « Himalaya business » le cite comme symbole de l’évolution des pratiques actuelles d’expédition en haute altitude. Ce qui compte c’est l’exploit, le record, le défi, atteindre les sommets le plus rapidement possible.

La mode n’est plus à la simple ascension des 8848 mètres de l’Everest mais à celle des 14 sommets de plus de 8000 mètres avec un fort soutien logistique. François Carrel appelle cela « L’himalayisme commercial industriel ». Pas besoin d’expérience alpine très poussée si vous pouvez payer le prix fort. Les quelque 40 agences d’expédition népalaises se prêtent au jeu, fournissant tentes tout confort au camp de base, force oxygène, cordes fixes en place, hélicos ou drones pour le transport des charges, porteurs, guides, accompagnateurs etc. Une alpiniste norvégienne a pu ainsi gravir en trois mois les 14 sommets de plus de 8000 mètres.

Expédition Everest et Lhotsé avec l’agence de Nirmal « Elite Exped ». (capture écran)

En 2019, 381 permis d’ascension de l’Everest côté népalais ont été délivrés et 140 côté chinois. D’où la queue au sommet. En 2023 ce sont 378 autorisations de grimper l’Everest, à raison de 11 000 dollars par tête qui ont été accordées. Une ressource essentielle pour un des pays les plus pauvres de la planète et à laquelle il n’est pas prêt de renoncer.

Dans « Himalaya business » François Carrel démonte ce système qui régit à présent la pratique de l’alpinisme en Himalaya. Les agences népalaises sont aujourd’hui maitresses du jeu. Elles peuvent prétendre à  un taux de réussite de 70% pour l’Everest. Les agences occidentales doivent se contenter de passer des accords de partenariat avec elles pour fonctionner. L’auteur parle à juste titre de revanche des Népalais, de réappropriation de leur montagne, de décolonisation dans un domaine où tout était tenu, organisé, contrôlé par des grimpeurs occidentaux.

Les montagnards népalais ont définitivement marqué leur territoire en janvier 2021 avec la première ascension hivernale du K2, conduite par Nirmal Puja et une cordée entièrement népalaise qui a dû affronter des froids de -50 degrés.

Publicité pour l’exploit des Népalais au K2 en hivernale (capture d’écran)

Cet exploit qui fait la fierté des Népalais conforte le pouvoir des agences locales qui ne renoncent à aucun moyen pour convoyer leurs clients au sommet : itinéraires aménagés, cordes fixes, hélicoptères, oxygène délivrée parfois dès 6000 mètres.

Cette foule qui se presse sur les plus hauts sommets de la planète génère également une pollution difficilement contrôlable. Ainsi écrit l’auteur : « Le col sud de l’Everest à 7950 mètres est un champ de déchets : tentes écrasées, matelas déchirés, bouteilles d’oxygène abandonnées, déchets métalliques et plastiques en tout genre ; excréments éparpillés aux abords. »

Jour tranquille au Daulaghiri (c) Ph Rochot.

François Carrel nous rassure quand même en écrivant que certaines agences d’expéditions commencent à revoir leur politique. C’est le cas de « Imagine Népal » de Mingma qui lance par exemple un autre concept: repenser l’himalayisme, s’affranchir des cordes fixes, retrouver l’usage du piolet et de la cordée, savoir renoncer en cas de danger, limiter l’usage de l’hélico notamment à la descente. Quand les clients se font héliporter du camp de base jusqu’à Katmandou dit Mingma, ils se privent d’un plaisir simple : « il y a l’excitation de la descente, du retour, l’air est de plus en plus léger, ton corps récupère. C’est si fort de s’arrêter de nouveau dans les monastères où tu as été encouragé à la montée ».

Cet engagement est important car aujourd’hui ces agences népalaises n’opèrent plus seulement en Himalaya mais sur toutes les montagnes du globe. Il faudra donc leur faire confiance pour préserver l’environnement et respecter une certaine éthique de la haute montagne.

Philippe Rochot

Une réflexion sur “De l’Everest au K2, le grand chambardement. « Himalaya business » de François Carrel.

  1. Ravi de lire que l’avenir va s’éclaircir grâce à une belle prise de conscience.

    la montagne comme un produit à consommer comme une barre de céréales c’est bientôt fini.

    je souhaite que le respect s’installe vis à vis de ces montagnes oh combien sacrées pour les peuples de l’Himalaya

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire