Quand un photographe africain comme Samuel Fosso investit la Maison Européenne de la Photo avec ses portraits inspirés de l’ère coloniale ou des grands de ce monde, on se sent délicieusement interpelé. Car l’artiste va bien au-delà de l’image éternelle que nous avons de la photo africaine, représentée par Seydou Keita ou Malik Sidibé, dans leurs studios de Bamako, avec leurs portraits naïfs de femmes africaines ou d’hommes fiers de poser dans un costume neuf.
Samuel Fosso reprend la thématique du studio traditionnel mais va plus loin en consacrant son œuvre à l’autoportrait dans toutes ses dimensions, historiques et personnelles, culturelles.

« Le golfeur »: de la série « Tati ». Autoportrait, Samuel Fosso.
En Afrique, dit-on, un enfant doit se faire tirer le portrait dès l’âge de trois mois, mais pour des raisons obscures Samuel Fosso n’a pas eu droit à ce rituel. A-t-il été marqué, frustré ? Il s’est en tout cas bien vengé quand on voit son œuvre exposée à la MEP.

Ironie sur « Le chef qui a vendu l’Afrique aux colons ». Série « Tati ».
Son enfance est construite sur un pays en guerre, le Biafra. Car Fosso, né au Cameroun en 1962, a grandi dans cette région du Nigéria pour se réfugier ensuite chez son oncle à Bangui en Centrafrique. C’est là qu’il découvre la photographie grâce à un voisin qui va l’initier au portrait. Ses premiers pas consistent à réaliser des photos d’identité…

Autoportrait « 70’s Life style ».
Dès 1975, il ouvre son propre studio alors qu’il n’a que treize ans. Il va pratiquer l’autoportrait, transformant le studio traditionnel en scène de théâtre, réalisant des œuvres photographiques où il infiltre la pop culture, changeant de personnage à mesure qu’il enfile les différents costumes réalisés par des couturiers locaux pour le faire ressembler à la vedette qu’il veut incarner. Et l’effet est payant, réussi, couronné de succès, à tel point qu’il va cultiver ce style durant vingt ans.
Son œuvre se décompose en séries. Il y a la série dite « Tati » avec des costumes pleins de couleurs, la série « African spirit » où il s’inspire du style afro-américain et rend hommage aux mouvements africains d’indépendance. Il incarne ainsi 14 personnalités comme Leopold Sedar Senghor en académicien, Patrice Lumumba, Nelson Mandela ou Martin Luther King.

La série « Allonzenfants » présente l’auteur déguisé en poilu de la guerre de 14, clin d’œil habile quand on sait le rôle important joué par les Africains dans le conflit, les « poilus nègres » comme on les appelait sans ménagement.
Dans la série « Empereur d’Afrique » réalisée durant l’année 2010, Samuel Fosso reprend les traits de l’empereur rouge Mao Zedong et le message est fort.

Ces quelque 300 photos ont un point commun : la grande qualité de la prise de vue, du cadrage, de l’expression du personnage. L’homme a travaillé son modèle pour se mettre dans la peau de son sujet. Rien n’est oublié, pas même le grain de beauté du fondateur de la République Populaire de Chine, Mao Zedong.

De la série « la femme américaine libérée »: photo et modèle, Samuel Fosso. 1970. Série « Tati »: les carrés rouge et blanc, bien connus des amateurs de la grande enseigne commerciale, apparaissent sur le tapis de sol.
On sera moins sensible à son œuvre monumentale la plus récente, datée de 2015-2016 et intitulée « Sixsixsix », soit 600 tirages polaroïd de son visage toujours sombre, censé représenter le témoignage d’une vie avec ses joies et ses peines.
Quoi qu’il en soit il y a du génie dans l’œuvre de Samuel Fosso. En l’accueillant à la MEP le monde de la photo le lui rend bien.
Philippe Rochot