Portraits de Corée du Nord: le pari osé de Stephane Gladieu.

Photographier dans « le dernier régime stalinien de la planète » demeure un casse-tête pour les gens d’images. Comment entrer dans ce pays le plus fermé au monde ? En touriste avec un groupe de visiteurs pour passer inaperçu ? Tenter d’obtenir un visa de journaliste à l’occasion d’un anniversaire du « grand leader » Kim Il Sung ou de l’un de ses fils ?

Paysans nord-coréens: photos de Stephane Gladieu: Rencontres d’Arles.

Le photographe Eric Lafforgue s’est rendu six fois en Corée du Nord avec un visa de touriste, avant d’être interdit de séjour. Dans son livre intitulé « Banni de Corée du Nord » il décrit avec humour et ironie les obstacles rencontrés pour faire son travail. Didier Bizet lui a joué la visite officielle qu’il transforme en une vaste mascarade dans son livre photo « Le Grand Mensonge ».

Stephane Gladieu, qui expose ses portraits de Corée du Nord aux rencontres d’Arles, dans le cadre paisible du « Jardin d’été » a joué jusqu’au bout la carte officielle: pas de caméra cachée, pas de subterfuge pour piéger ses accompagnateurs, pas de photo volée. L’appareil est bien installé, visible, les sujets semblent fiers d’être photographiés.

Avec Stephane Gladieu on est carrément dans un studio de rue et cela fait la force de ses images. En jouant le jeu, il nous dévoile les mentalités des Nord-Coréens, celles des autorités et celles de la société. D’un côté, le pouvoir communiste pourra se satisfaire de voir des citoyens bien vêtus, épanouis, naturels, à l’aise dans leur élément comme le sont ces écoliers en uniforme, ces paysans bien propres ou ces tireuses d’élite comme sorties d’un film de James Bond… De l’autre, Stephane Gladieu nous éclaire sur ce que les Nord-Coréens et les tenants du régime veulent montrer d’eux-mêmes. La pose extrêmement simple, presque rigide et figée des sujets photographiés se rapproche de celle des photographes du régime.

Arles: les photos de Stephane Gladieu dans le jardin d’été. Les personnages sont grandeur nature.

Certes le photographe n’a pas pu installer son appareil n’importe où : « Les images n’ont pas été censurées, on m’a censuré en amont dit-il. C’est-à-dire que l’on m’a dit : ‘Non vous n’irez pas dans les mines faire des photos des mineurs. Non, vous n’irez pas dans des villages reculés de paysans’. »

« Les autorités nord-coréennes ont été déroutées par ma proposition de réaliser des portraits individuels ajoute Stephane Gladieu. Ma démarche « révolutionnaire » bousculait leur culture collectiviste. Pourquoi ont-elles accepté ? Dans une volonté d’ouverture, sans doute, mais aussi, je crois, parce que le concept de pose frontale, le cadre rigoureux de mes portraits leur était familier et compréhensible ; et puis le dispositif, qui flirte volontairement avec les codes de l’image de propagande, me rendait statique, prévisible et contrôlable. » (France Info).

Stephane Gladieu s’est inspiré de l’approche du photographe allemand August Sander et de sa série historique, « Hommes du XXème siècle ». Le principe est simple mais payant : le sujet est saisi de face, de plein pied, presque figé dans une attitude très expressive qui lui donne fierté et dignité. Il a sa tenue de travail ou de loisir. Chacun est dans son élément, bien dans sa peau. Le résultat donne donc un bon éclairage de la société nord-coréenne, de ses codes, de ses mystères aussi.

Les photos sont en format XL et les personnages en taille réelle. Le jardin d’été, à deux pas du théâtre antique se prête bien à ces rencontres exotiques et mystérieuses. Car que pensent réellement les nord-coréens, en dehors de ce que le régime veut leur imposer ? Difficile de le savoir tant ces gens sont soumis au silence et écrasés par la propagande.

Aujourd’hui l’actualité en Afghanistan et la déroute américaine ont remplacé pour quelque temps les gesticulations de Kim Jong Un et de Donald Trump ainsi que la menace nucléaire nord-coréenne. Mais le problème reste entier. Ces populations de « l’axe du mal », où Georges Bush avait placé ce pays, seront-elles prêtes à suivre leur leader en cas de guerre dévastatrice dans la péninsule coréenne ?

Philippe Rochot

Le livre de Stephane Gladieu: « Corée du Nord« .

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