« Le cri du silence » : l’Arménie au coeur de l’expo-photo d’Antoine Agoudjian. Place de la Bastille…

En Une: Antoine Agoudjian et sa photo intitulée « Le Testament » (Mazgirt, Turquie: 2012.)

La qualité d’un reportage appartient sans doute au photoreporter qui sait rester longtemps sur le terrain. Antoine Agoudjian fait partie de ceux là. Sa persévérance dans la couverture des conflits du Proche-Orient impose le respect : Syrie, Irak, Arménie bien sûr.

« Célébration »: Bagdad, Irak 2004.

Mais au-delà de ces terres de martyrs, l’homme se penche sur le sort des minorités persécutées : Yézidis, Kurdes, Chrétiens d’orient, Arméniens du Haut Karabkh (Artsakh). « Sa quête est au-delà d’une obsession mémorielle, elle va plus loin que les frontières tracées au couteau dans la chair des peuples. » écrit le dramaturge d’origine arménienne Simon Abkarian dans sa présentation de l’exposition place de la Bastille.

« L’archange »: Karabakh: Chouchi, 2016. (c) Antoine Agoudjian.

Voilà trente ans qu’Antoine Agoudjian se penche sur l’héritage arménien ou ce qu’il en reste. Monter pareille exposition avec une trentaine de photos en format XL pour l’anniversaire du génocide arménien du 24 avril 1915 est une belle consécration.

Ces témoignages sont présentés au moment où l’Amérique de Biden reconnait le génocide arménien et défie ainsi le négationnisme d’Ankara. Aujourd’hui, le génocide arménien est reconnu par une trentaine de pays. Les historiens estiment qu’entre 1,2 million et 1,5 million d’Arméniens ont été tués pendant la Première Guerre mondiale par les troupes de l’Empire ottoman, allié à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie.

« Les Justes »: région de Sinjar. 2016. (c) Antoine Agoudjian.

Ce qui frappe dans les images d’Antoine Agoudjian, c’est d’abord la lumière : toujours sombre, souvent rasante, jamais claquante donnant tout son relief à l’histoire que l’auteur veut nous faire vivre. Le grain de la photo souvent très poussé en raison d’un faible éclairage, accentue le caractère dramatique des scènes présentées.

« L’exode ». Mossoul 2017. (c) Antoine Agoudjian.

Mais l’expo va au-delà du drame arménien et touche le théâtre des combats de Syrie et d’Irak.

On y retrouve par exemple la fuite éperdue de ce jeune réfugié irakien tenant un enfant dans les bras, prise en 2017, lors de l’assaut des forces régulières irakiennes contre le dernier réduit de Daesh dans la ville de Mossoul. Elle valut à Antoine Agoudjian un prix au festival de Bayeux.

Aujourd’hui le photographe consacre son travail aux suites du conflit du Haut Karabakh où il se rend régulièrement, accompagnant des journalistes ou des écrivains voyageurs prestigieux comme Sylvain Tessson, témoignant cette fois pour Le Figaro- Magazine.

La plume de l’auteur à succès parvient à sensibiliser l’opinion sur le sort des Arméniens, leur solitude face à ce quasi silence de la communauté internationale, ce que le photoreporter Agoudjian appelle « le cri du silence ».

Sur cette expérience Sylvain Tesson écrit : « La dernière fois que je suis venu là, je faisais un mini-tour du monde à bicyclette. J’arrivais de Singapour via l’Iran et le pays était déjà en guerre… » 

« Sevkiat »: mémorial du génocide arménien à Erevan: 1989. Photo de Antoine Agoudjian.

C’était en 1993. Les Arméniens du Haut Karabakh avaient réussi à s’extirper de la tutelle de l’Azerbaïdjan imposée par Staline en 1923. Mais depuis, la vie des populations a de nouveau basculé avec la Turquie qui revient dans le jeu et le retour des Russes censés tenir le rôle de forces de maintien de la paix. Nous aurons encore besoin de témoignages comme ceux que nous apporte Antoine Agoudjian sur le front du Haut-Karabakh mais aussi ailleurs.

Philippe Rochot

5 réflexions sur “« Le cri du silence » : l’Arménie au coeur de l’expo-photo d’Antoine Agoudjian. Place de la Bastille…

  1. J’ai eu la chance de découvrir cette exposition alors que je travaillais sur le film de Guillaume Suon qui m’a fait connaître le travail de Antoine Agoudgian dont j’admire la beauté et l’intensité dramatique.
    Hasard ?je viens de terminer un livre que j’ai trouvé remarquable L’Ami arménien de Andreï Makine en écho au travail d’Antoine Agoudgian et que je vous conseille

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