Sarah Moon et son musée imaginaire « PasséPrésent », Paris Musée d’Art Moderne. Ph Rochot.

Quand on parcourt la biographie de Sarah Moon, on apprend qu’elle est née à Vichy en 1941 et qu’elle était juive. On comprend mieux que sa famille ait préféré fuir la France et se réfugier en Angleterre. On aimerait lire ou écouter le récit de son histoire personnelle mais Marielle Sarah Warin de son vrai nom, ne se raconte pas : « L’enfance est un grenier auquel je n’ai jamais voulu trop toucher » dit-elle avec prudence et méfiance.
Et cela explique sans doute que pour exprimer son rapport à la vie, celle qui a choisi le nom de Sarah Moon s’est repliée derrière un appareil photo : « Photographier, c’est aller ailleurs » dit-elle.
Oeuvre pour Yoji Yamamoto : 1996. (c) Sarah Moon. Son ailleurs sera d’abord d’habiter la peau du mannequin. Sarah Moon débute dans la profession en 1960 et tiendra six ans avant de basculer dans un autre monde, celui de la photographie. Dans le domaine de la photo de mode, dominé surtout par les hommes, elle va imposer son style ses connaissances et sa maitrise d’un univers qu’elle connait parfaitement. Très vite elle travaille pour les magazines les plus prestigieux comme Vogue ou Elle après avoir débuté par un banal remplacement à l’hebdomadaire L’Express. Elle réalise également des commandes Christian Dior ou Cacharel. Sarah Moon: « En roue libre »:  2001. On sent déjà ce que sera son style : jeunes femmes légèrement floutées aux yeux soulignés de khôl donnant un regard triste dans des décors sombres, mystérieux et abstraits. Sarah Moon sort carrément du conformisme publicitaire de l’époque, soulignant par l’image la féminité de ses modèles, imposant aussi un autre regard sur la femme. L’expo que lui consacre le Musée d’Art Moderne de Paris ne respecte pas l’ordre chronologique. C’est au contraire un brassage de l’œuvre où se confrontent et se croisent photos de mode et images de vie, transformées, traitées chimiquement ou non, volontairement manipulées pour nous transmettre leur part de rêve et d’imagination.  
Fin de vacances: 2017. (c) Sarah Moon. Sarah Moon photographie la femme mais elle choisit aussi les plantes, les animaux, auxquels elle donne un aspect intemporel en les métamorphosant grâce aux techniques de prises de vue, de développement et de tirage. Sarah Moon chérit les procédés argentiques qui nous laissent des noirs et blancs profonds : « le noir et blanc, dit-elle, c’est la couleur de l’inconscient et de la mémoire ». Elle aime aussi les polaroïds développés tardivement, elle met en valeur les défauts provoqués par les solutions chimiques qui restent incrustés dans l’image, montrant son caractère vulnérable. Prenons sa fameuse photo de La Mouette. L’oiseau est à peine identifiable. Son corps et son plumage disparaissent dans une sorte de nuage sombre. Seuls sont visibles son aile et surtout son œil, qui nous fixe, semblant sortir de l’image pour mieux nous y attirer. La mouette: (c) Sarah Moon. Des critiques voient dans cette expo l’expression d’une technique picturale comparable à celle de la peinture. Nous restons donc dans la remarque éculée qui sort souvent au vu d’une image réussie : « on dirait une peinture ». Sarah Moon se revendique pourtant bien photographe et le fait savoir sur les murs même de l’exposition par une série de citations qui illustrent parfaitement son état d’esprit :  « C’est à la fois pour m’approcher et m’échapper de la réalité qu’instinctivement, j’ai regardé à travers l’objectif d’un appareil photographique… » « J’invente une histoire qui n’existe pas, je crée un lieu et j’en efface un autre, je déplace la lumière, je déréalise et j’essaie… » « J’espère le hasard et je souhaite plus que tout être touchée en même temps que je vise… » Sarah Moon lors d’une interview à « Planche contact », festival de photo de Deauville. 2020. (capture écran). Alors, la photo ? Oui mais pas que… Sarah Moon rythme son parcours avec des réalisations cinématographiques comme « Fil rouge », « Circuss » ou « Le Chaperon noir », adaptations de contes populaires. Racontés par l’artiste, ils donnent le rythme de cet itinéraire à travers le musée d’art moderne. Parmi les éditeurs qui ont publié le travail de Sarah Moon, on trouve le nom de Robert Delpire. Il fut son compagnon durant près d’un demi-siècle. Elle consacre d’ailleurs une salle à part du musée d’art moderne à cet homme qui fonda et dirigea le Centre National de la Photographie. Delpire disait de Sarah Moon : « Elle se met à rêver les arbres comme elle a rêvé les hommes, elle prend des chemins qui ne mènent qu’à elle, elle accroche des étoiles dans un ciel de pluie et les champs qu’elle parcourt accueillent un étrange bestiaire. » Sarah Moon: anatomie, 1997. Sarah Moon n’a pas oublié ce qu’elle doit à la photo de mode. Elle a continué longtemps à mettre au point des campagnes pour les marques comme Giorgio Armani pour la collection ­printemps-été 2018, appliquant son regard mélancolique et sa sensibilité sur les vestes ou les jupes du grand couturier italien, comme elle le fit au début de sa carrière dans les années soixante. Philippe Rochot  * L’exposition PasséPrésent est fermée jusqu’au 1er décembre à cause de l’épidémie de Covid-19. Raison de plus pour l’évoquer dans ce blog et vous donner envie d’y aller dès la réouverture. Teaser de l’exposition : https://www.youtube.com/watch?v=8N1dSx0PsYI&ab_channel=ParisMus%C3%A9es Infos pratiques : https://www.mam.paris.fr/fr/informations-pratiques              

3 réflexions sur “Sarah Moon et son musée imaginaire « PasséPrésent », Paris Musée d’Art Moderne. Ph Rochot.

  1. Merci Philippe pour ton analyse très pertinente. En effet de passage à Paris pour les vacances de la Toussaint j’ai eu la chance de voir l’exposition de Sarah Moon avec une amie qui travaillait au Journal « ELLE » et qui avait publié des photos de Sarah Moon. Mais ce magazine n’en a publié que peu car le journal souhaitait publier des photos en couleur et Sarah Moon aimait le Noir et Blanc. L’exposition était intéressante mais j’ai eu du mal à sentir une écriture un parcours, la couleur mélangé au Noir et Blanc et différents thèmes m’ont déstabilisé dans l’unité et une écriture bien évidente. A la différence de Cindy Sherman qui a une réelle écriture narcissique mais signée. Amitiés et merci pour tes belles photos en Noir et Blanc de la montagne. Dann

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