Nanga Parbat: le choix déchirant d’Elisabeth Revol: « Vivre » / Ph. Rochot

« Mon retour a été un enfer… J’étais déconnectée, à dix mille lieues d’imaginer l’ampleur que notre histoire avait prise, les jugements définitifs qui déjà me condamnaient à brûler en enfer ou m’érigeaient en héroïne. »
Elisabeth Revol pensait sans doute surmonter son épreuve avec son retour à la vie. Il n’en a rien été. Elle aura mis deux ans à se remettre de la tragédie vécue au Nanga Parbat, deux ans au bout desquels la boucle se ferme avec l’ascension de l’Everest au printemps dernier et ce récit émouvant qu’elle nous livre aujourd’hui: « Vivre : ma tragédie au Nanga Parbat ».Une tragédie vécue avec l’alpiniste polonais Tomasz Mackiewicz (dit Tomek) qui a fait la une de l’actualité en janvier 2018 et le bonheur des amateurs de sensationnel. En toile de fond un sommet mythique de l’Himalaya qu’Elisabeth Revol décrit ainsi : « Le Nanga Parbat est magnifique en hiver, gelé, drapé de pans bleus en glace vive, figé par le temps, le froid, tandis que les vents dansent autour des cimes.»

Elisabeth Revol au Nanga Parbat (capture écran Envoyé spécial).

On se souvient de cet appel aux dons lancé d’urgence sur internet en janvier 2018 pour financer les secours sur cette montagne de plus de 8000 mètres qui prit la vie de 69 alpinistes au cours de l’histoire. Elisabeth Revol et Tomek venaient de réussir cette hivernale après plusieurs tentatives les années précédentes. Mais au sommet Tomek perd la vue : ophtalmie des neiges, gel de la cornée ? Peu de temps après c’est l’œdème pulmonaire qui annonce une fin très proche si l’alpiniste ne perd pas de l’altitude.
La descente se transforme en calvaire et devient impossible mille mètres plus bas.

Pour Elisabeth Revol, c’est tempête sous un crâne

« Ma conscience me dit que je dois rester avec lui pour l’aider… Ma raison rétorque que s’il a encore une chance de survivre et si je ne le descends pas, je le condamne ». Mais Revol pèse 45 kg et Tomek deux fois plus. Impossible de le traîner vers le bas.

Elle lance un message de détresse.

Les secours s’organisent, les amis, les parents se mobilisent. On parle de faire monter un hélico de l’armée pakistanaise pour les récupérer mais ils sont trop haut. L’engin ne peut voler à pareille altitude.

Le nanga parbat

Le Nanga Parbat à 8126 mètres. Les médias l’ont surnommé « la montagne tueuse » alors que la traduction exacte signifie « la montagne nue ». (Capture écran Envoyé spécial)

La logique veut donc qu’elle descende seule dans un premier temps et laisse son compagnon dans cette petite crevasse où ils ont trouvé refuge. C’est un déchirement pour Elisabeth. Elle lui abandonne ses moufles de secours, son piolet et descend seule sur une voie qu’elle ne connait pas. Heureusement, des cordes fixes ont été abandonnées par une expédition coréenne. « Je descends de nuit sans frontale dans une voie que je ne connais pas, sans aucun matériel, ni piolet ni descendeurs, ni broches à glace, ni corde dynamique. »
Elle survivra à deux bivouacs, sans tente, à près de 7000 mètres d’altitude avant de trouver enfin les secours qui montent à sa rencontre. Ce sont deux alpinistes polonais de haut niveau Denis Urubko et Adam Bielecki, qui tentaient une expédition au K2 et que les hélicos de l’armée pakistanaise sont venus chercher pour les déposer sur les pentes du Nanga Parbat et tenter de retrouver la cordée en perdition: des héros qui n’ont pas hésité à abandonner leur projet pour sauver d’autres alpinistes. Mais ils ne pourront porter secours à Tomek au grand désespoir de sa compagne. Tous les médecins qui recueilleront le témoignage de la rescapée assurent que Tomek était condamné, qu’il n’avait que quelques heures à vivre. Rester avec lui, c’était se condamner à mort.

Elisabeth Revol à son retour en France (capt écran France 2)

Elisabeth Revol nous livre aujourd’hui un récit détaillé sur la façon dont elle a vécu et géré cette tragédie, nous laissant découvrir ses capacités de résistance hors du commun, celles de la première femme qui enchaîna trois sommets de 8000 mètres en deux semaines. Elle nous dévoile aussi la personnalité de son compagnon, plus proche du grimpeur marginal rêveur que de l’alpiniste professionnel: « Tomek est habité par le mythe de Fairy ; au fil des expéditions il semble être entré en connexion avec cette divinité de la montagne. Quand il a un doute il me dit : je vais aller parler à Fairy. Puis il revient et me dit : on va faire ça, passer par là. Ses tentatives pour gagner la cime du Nanga se rapprochent autant de la quête mystique que de l’exploit sportif ».
Elisabeth Revol est à l’opposé de son compagnon de cordée. Sans doute est-ce pour cela qu’ils s’entendent aussi bien. Elle a pesé les risques, étudié l’équipement ; ils grimpent en technique alpine : légers, sans oxygène, sans téléphonique satellite, avec peu d’eau, peu de vivres, un matériel réduit pour être plus rapides et ne pas stationner trop longtemps dans ces « zones de la mort ». Elle mesure 1m 56 mais c’est une athlète infatigable.

Village de Puy-Aillaud dans le massif des Ecrins où Elisabeth Revol passait ses vacances et prit goût à la haute-montagne. (c) Ph. Rochot.

Le Nanga Parbat était une obsession pour tous les deux. Tomek disait : « Cette montagne ne me laissera jamais tranquille ». C’était sa sixième tentative hivernale, la quatrième pour Elisabeth Revol. « Pourquoi ai-je eu besoin de revenir une quatrième fois – une fois de trop – sur ce sommet ? Pourquoi ces hauts sommets qui peuvent être si hostiles m’aimantent ainsi ? » écrit-elle sans jamais sortir de cet examen de conscience perpétuel : « La culpabilité sera toujours là. Je devrai apprendre à vivre avec elle ».
Même les paroles de médecins à son retour ne suffiront pas à apaiser ce sentiment de culpabilité, baptisé syndrome du survivant par les psychiatres : « vous avez vu votre propre mort cette nuit-là. Et vous avez vu de vos yeux celle de Tom la veille. Ne vous excusez pas d’être en vie. Tomek n’aurait jamais voulu que vous vous condamniez pour lui ».

L’itinéraire de descente de Tomek et Eli, jusqu’à 7283m puis Elisabeth descend seule à 6700m où elle est récupérée par les alpinistes polonais. (capture écran Envoyé Spécial.)

Certains esprits forts l’ont pourtant bien aidée à cultiver ce sentiment de culpabilité. Ils sévissent sur les réseaux sociaux et sans connaitre aucunement les circonstances de pareille tragédie entretiennent volontairement le doute, la suspicion, la haine : « Je ne me figurais pas la folie dans laquelle j’allais être aspirée à mon retour, les condamnations et jugements du milieu ou d’inconnus, la quête du sensationnel. »

Son retour à la montagne avec l’ascension de l’Everest et du Lhotsé a sans doute apaisé Elisabeth Revol qui veut continuer de pratiquer l’alpinisme de haut niveau.

C’est sa vie, sa passion, sa raison d’être.

Mais cette tragédie vécue restera gravée dans l’histoire de la haute montagne. Elle est à rapprocher des drames qui nous ont tous marqués : Vincendon et Henry au Mont Blanc, Bonatti au pilier du Freney, Goussaud et Demaison aux Grandes Jorasses, Garry Hemming et le sauvetage des Drus, Lafaille disparu au Makalu etc. Tous avaient un point commun : l’obsession, la passion pour un sommet, une voie, une face, un itinéraire et tous ont voulu aller jusqu’au bout.

Philippe Rochot

5 réflexions sur “Nanga Parbat: le choix déchirant d’Elisabeth Revol: « Vivre » / Ph. Rochot

  1. Bonjour Philippe,
    Ton billet sur ce livre m’avait donné envie de le lire, ce que j’ai fait. Ce récit est très impressionnant et témoigne d’une force de vie hors du commun. J’ai aussi réalisé que les alpinistes périssant dans des lieux impropables avaient la montagne pour sépulture.
    A bientôt
    Geneviève

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  2. Bonjour Philippe,
    Ton billet sur ce livre m’avait donné envie de le lire, ce que j’ai fait. Ce récit est très impressionnant et témoigne d’une force de vie hors du commun. J’ai aussi réalisé que les alpinistes périssant dans des lieux impropables avaient la montagne pour sépulture.
    A bientôt
    Geneviève

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  3. what are we, what becoming to ,t²——-from the first step to the next, travaux archéologies histories, the self statue that the self-control in living , hélas it is the law fascinas life /dead ,
    thank you, for the blog, mr Rochot,

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