« L’Arabie saoudite ? Ça n’est pas un pays, c’est une famille » aimait dire Menahem Begin, Premier ministre israélien dans les années 80. On pourrait dire de même pour ces émirats du Golfe où les successions de père en fils étouffent toute velléité de soulèvement démocratique. Le film de Sylvain Lepetit et Miyuki Droz Aramaki nous le rappelle d’emblée en montrant la peur des régimes du Golfe face aux révoltes arabes. Sous des aspects modernistes, des ouvertures culturelles, des projets économiques grandioses, les monarchies du Golfe sont restées figées dans leur conquête du pouvoir, avec un objectif essentiel : créer des alliances pour protéger leurs privilèges et leur dynastie. Et ça n’est pas la mesure très spectaculaire et médiatisée du prince Salman d’Arabie d’autoriser les femmes à conduire qui vient bouleverser la donne.
Les trois princes clés de la péninsule arabique (capture écran Arte)
Le pouvoir dans la péninsule arabique, mais surtout l’avenir de la région est concentré entre les mains de trois princes : Mohamed bin Salman d’Arabie, dit MBS, Mohamed bin Zayed souverain d’Abou Dhabi et gérant des Emirats arabes unis, dit MBZ et Tamim el-Thani, émir du Qatar. C’est à travers eux que le documentaire nous conduit dans un univers inquiétant, celui où se mêlent jeux vidéo et guerre ouverte.
Le déploiement de matériel militaire fourni par l’Occident à l’Arabie et aux Emirats a quelque chose de surprenant. Les Emirats sont devenus le pays le mieux armé au monde, proportionnellement à sa population. Même si MBZ est un ancien de Sandhurst, la prestigieuse école militaire britannique, on peut douter de l’usage qu’il fait des armes livrées par l’Occident, utilisées de façon démesurée dans la guerre du Yemen. Et quand on voit notre ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian négocier la vente de matériel militaire (accompagné de son fils) notre diplomatie prend un goût amer.
MBS et MBZ, Arabie et Emirats, alliés contre l’Iran (capture écran Arte)
L’avenir de la région du Golfe, persique ou arabo-persique passe pourtant par ces personnages sans scrupule et c’est avec eux qu’il faut composer. Mohamed bin Salman a fait parler de lui lors du meurtre du journaliste saoudien Kashoggi pour son évidente implication. Mais il est aussi le prince qui a lancé son pays et toute la région dans cette guerre au Yemen déclenchée en 2015 qui ne devait durer que quelques jours.
Il a reçu l’appui de son voisin des Emirats, MBZ avec sa fabuleuse puissance aérienne si destructrice pour les populations. Le film montre les bombardements sur les villages, la détresse et la misère des populations yéménites et traduit bien ce conflit lointain pour lequel l’Occident ne s’est jamais vraiment mobilisé. La cible ? Les Houtis, minorité chiite soutenue par l’Iran qui a pris le pouvoir à Sanaa et défie l’Arabie saoudite. La République islamique d’Iran est accusée de tous les maux dont celui de vouloir conquérir les lieux saints de l’islam, les sanctuaires de La Mecque et Médine, dont la famille Saoud est devenue la gardienne. Les Saoudiens, MBS en tête, jouent donc leur survie dans ce conflit.
En rouge, la zône d’influence iranienne qui inquiète l’Arabie et l’allié américain (capture écran Arte)
Et le Qatar dans cette affaire ? Cet émirat de 250 000 habitants, guère plus grand qu’un département français sème le trouble par son soutien aux Frères musulmans dans le monde arabe, son traitement de l’information sur les révoltes arabes, sa liberté de ton sur la chaine Al Jazira (sauf pour les affaires intérieures) et surtout sa proximité et sa dépendance avec l’Iran. Ce premier producteur au monde de gaz liquide partage un gisement avec l’Iran et ne peut guère s’engager dans un conflit avec ce géant qui lui fait face, de l’autre côté du détroit d’Ormuz.
MBS voudrait faire la guerre au traître qu’est devenu le Qatar. Il tente d’étouffer son économie. Le prince saoudien a même réussi à convaincre Donald Trump de rappeler à l’ordre cet émirat minuscule qui défie le monde arabe en continuant le dialogue avec l’Iran, brille en sport sur la scène internationale, accueille la coupe du monde de foot et se taille une place prestigieuse sur la scène internationale.
Base américaine de Udeid au Qatar. (source Wikipedia)
Le film de Sylvain Lepetit et Miyuki Droz Aramaki nous montre alors un président américain, ignorant des dossiers du Moyen-Orient, menacer le Qatar d’une intervention armée, sans savoir apparemment que ce petit pays accueille une base militaire américaine de près de 10 000 hommes. En présentant une situation alarmante dans la région du golfe, ce documentaire a aussi le mérite de nous faire sourire.
Philippe Rochot
Arte : mardi 2 juillet 21h 50. Une production Quark Production.
ecrin663@orange.fr
Le sam. 29 juin 2019 à 11:51, Philippe Rochot / Reportages pour mémoire a écrit :
> Philippe Rochot posted: « « L’Arabie saoudite ? Ça n’est pas un pays, c’est > une famille » aimait dire Menahem Begin, Premier ministre israélien dans > les années 80. On pourrait dire de même pour ces émirats du Golfe où les > successions de père en fils étouffent toute velléité de sou » >
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