Sophie Pétronin otage au Sahel : « Ma mère ma bataille » Le récit de Sébastien son fils. Ph Rochot

« C’est ma dernière carte pour faire libérer ma mère » déclare Sébastien, le fils de Sophie Pétronin, en présentant son livre. « Ma mère ma bataille » est un récit complet de ces deux ans et demi passés en recherche de contacts, en missions impossibles au Mali, au Niger ou en Mauritanie, en attente d’appels venus du désert ou du Quai d’Orsay ou face à des vidéos sordides d’une mère à bout de force, seul témoignage de vie venu d’un désert torride ou glacé.

Sophie Pétronin sous la tente avec la religieuse colombienne, otage elle aussi. (Capture écran de Site)


Sébastien Chadaud-Pétronin s’est personnellement impliqué dans la recherche de sa mère alors que rien ne le prédestinait à ce genre d’action. « Moi, tenancier en Ardèche, ancien berger, je n’ai que ma détermination et l’amour pour ma mère à offrir. » Il a bien sûr une admiration sans borne pour cette femme de 73 ans : « Loin de notre monde occidental guidé par l’individualisme, ma mère a trouvé dans le peuple touareg et son habitat le désert, une place, une mission… Elle était identifiée comme une locale, une habitante de Gao à la peau plus blanche que celle des autres, c’est tout. »
L’homme ne connait pas les rouages et les subtilités de la diplomatie, ni la complexité des mouvements djihadistes qui se disputent le pouvoir au Sahel mais sa démarche a le mérite d’être sincère et directe. Elle peut être bien vue par le groupe (ou les groupes) qui détiennent sa mère. Il va donc tenter d’établir des contacts avec des intermédiaires pouvant le conduire aux ravisseurs et donc à Sophie Pétronin.


Les autorités françaises comptaient aussi sur lui pour obtenir plus d’informations sur les revendications des preneurs d’otages. Sébastien écoutait leurs conseils de prudence mais souvent ruait dans les brancards. Ce fils est resté convaincu que le pouvoir politique ne souhaitait pas négocier véritablement la libération de sa mère et qu’elle était sacrifiée sur l’autel de l’intérêt national.
Il rappelle la phrase de campagne du candidat Macron : « Si je suis élu à la fonction suprême, je m’occuperai personnellement du cas de Sophie Pétronin ». Mais cette citation est balayée en juillet 2017 au sommet du G5 Sahel à Bamako quand le président Macron évoque les groupes djihadistes : « ces gens ne sont rien, ce sont de terroristes, des voyous et des assassins, nous mettrons toute notre énergie à les éradiquer. »

Montage image réalisé par les preneurs d’otages pour donner l’état de santé de Sophie Pétronin.


Il est clair que le jeune chef d’Etat ne connait guère la psychologie des preneurs d’otages et des djihadistes du Sahel. Tous les regards sont pourtant tournés vers l’un d’entre eux : Iyad ag Ghali, chef touareg de la tribu des Ifoghas, de la région de Kidal. Etonnant d’apprendre que Sébastien Pétronin a pu faire quelques balades avec lui aux environs de Gao lorsqu’il rendait visite à sa mère… Cet homme qui servit d’intermédiaire lors de la négociation des premiers otages français au Sahel a basculé du côté obscur de la force et fait partie des têtes mises à prix. Il connait Sophie Pétronin, son attachement aux populations et son dévouement pour les enfants du Mali. Un intermédiaire confie même à son fils que cet enlèvement est apparemment une bavure, une erreur : « Iyad ag Ghali la connait de longue date ; il ne doit pas se sentir à l’aise dans cette situation. La vérité, c’est qu’elle a dû être transmise de groupe en groupe contre de l’argent ou des faveurs jusqu’à arriver à eux. Dès lors, impossible de faire marche arrière ».

Guetteur dans le désert sahélien : (c) Ph Rochot


Oui impossible de reculer sans compensation, sans geste. Dans les prises d’otages il faut toujours donner l’impression que l’on cède quelque chose. Il faut que l’autre ait l’impression de recevoir. Les ravisseurs ne veulent pas perdre la face. Cela explique peut-être la « faible » rançon exigée d’après les contacts pris par Sébastien Pétronin : « Youssouf Sakho me transmet son message qui est en fait un prix, une somme à six chiffres, le dixième de ce qui se fait habituellement » (soit au bas mot 100 000 euros et au maximum 999 999). Mais officiellement la France ne paie plus de rançon, dénoncée par Washington et Berlin comme trop généreuse avec les terroristes.

Là où Sébastien était parvenu à établir un contact qui d’après lui pouvait aboutir à une libération avant Noël, le Quai d’Orsay refuse de donner suite. Le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian suit pourtant le dossier avec son conseiller Jean-Claude Mallet. Il a le contact avec la famille Pétronin et accepte les missions du fils en lui conseillant de ne pas sortir des capitales, ce que l’homme se garde souvent de faire, semant ceux qui veulent le suivre ou se faisant expulser de la frontière Niger-Mali.

Sophie Pétronin

Le quai d’Orsay ne guère confiance aux intermédiaires, à part un certain Ahmed Modak. C’est le nom d’emprunt d’un chef touareg du Niger qui a joué un rôle dans la libération des otages d’Arlit et qui est proche de la France. Paris n’envoie pas de Français au contact des ravisseurs comme au temps de l’enlèvement de Françoise Claustre au Tchad ou celui des otages d’Arlit : trop risqué. Elle utilise les tribus locales, d’où la difficulté d’agir sur un territoire grand comme l’Europe.

Dans le désert immense, les alliances se font et se défont. Sébastien Chadaud-Pétronin a appris à identifier les groupes qui se disputent le pouvoir et se radicalisent. Il décrit ainsi l’installation des djihadistes dans la région de Gao où sa mère a été enlevée : « Ansar Dine et le Mudjao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’ouest) supplantent le MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad) et installent leurs drapeaux noirs sur toutes les villes occupées dont Gao. » Il analyse avec réalisme la complexité du problème : « Ma mère ne se trouve pas au milieu d’un simple duel entre les gentils et les méchants. Il y a les Etats occidentaux et africains, qui parfois sont alliés, parfois non, leurs hommes de main, les groupes djihadistes dont on ne connait pas exactement l’organigramme ni la nature des relations, des intermédiaires free-lance, des notables locaux. » Trois dimensions sont à prendre en compte lui dit un contact du nom d’Abdou: la dimension politico-militaire, la dimension religieuse et la dimension tribale .
Dans ces conditions on imagine la complexité d’une telle négociation et l’on peut poser la question : cette fameuse somme à six chiffres est-elle la seule condition posée par les ravisseurs ? N’y a-t-il pas des tractations d’une autre nature qui échappent à ce fils si volontaire et si déterminé ? Avec « Ma mère ma bataille » Sébastien Chadaud-Pétronin nous donne en tout cas un bel exemple de courage, de détermination, mais surtout d’amour.

Philippe Rochot

 

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3 réflexions sur “Sophie Pétronin otage au Sahel : « Ma mère ma bataille » Le récit de Sébastien son fils. Ph Rochot

  1. Avant, avant dans les temps anciens pour aider la mémoire face à Amnesy Internationale, on mettait le nom, la photo et le nombre de jours de nos otages sur les chaînes de télévision. Cette vision nous téléportaient en quelque sorte vers une actualité lente et brûlante. J’espère que le livre du fils de Madame Pétronin fera au moins écho sur les les plateaux.

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  2. Quelle sinistre affaire… Un gouvernement sourd et aveugle et un fils courageux qui se bat… contre des moulins à vents…
    Bravo pour sa démarche, pour son livre et pour son amour de sa mère…
    Merci Philippe à toi aussi pour ton acharnement à ne pas abandonner la cause de Sophie Pétronin…

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