Les bouddhas brisés de Prune Nourry. (Musée Guimet) Philippe Rochot

Un pied de plâtre géant accueille d’abord le visiteur. Des centaines d’aiguilles sont plantées dans sa chair blanche comme des points d’acupuncture. Ce membre éclaté représente le pied d’un bouddha monumental comme le fut celui de Bamyan en Afghanistan, détruit en 2001 par les Talibans.

En grimpant les étages du musée Guimet, on trouve la main, percée d’aiguilles également qui occupe toute la hauteur d’une pièce, puis la tête, elle aussi piquée de pointes d’acupuncture… Le message que l’artiste Prune Noury veut faire passer avec ce bouddha brisé est celui de la menace qui pèse sur notre patrimoine culturel.

Sur le pied du bouddha: les points d’acupuncture (c) Ph Rochot.

Le bouddha est un vieux symbole en Asie. Il s’impose partout, par sa puissance, sa force : bouddhas couchés, bouddhas assis, bouddhas debout au visage grave ou souriant, bouddhas enfermés dans des temples ou jalonnant les routes de cette foi originaire de l’Inde. C’est le bouddha qu’on brise quand on s’attaque à la culture du continent asiatique et la statue de plâtre, explosée dans ce musée des arts asiatiques est un avertissement.

« L’armée des fillettes de terre cuite » de Prune Nourry se retrouve au Musée Guimet… (c) Ph Rochot.
Prune Nourry avait carte blanche pour cette exposition. Nous avions montré son talent en évoquant ici ses statues de terre cuite représentant des fillettes chinoises alignées comme les soldats de l’empereur Qin Shi Huangdi. C’était une manière de dénoncer l’élimination des filles au profit des garçons en terre de Chine. Ce thème du déséquilibre homme-femme dans le monde est devenu une obsession pour cette artiste de trente ans et la discrimination se retrouve régulièrement dans son œuvre.
Prune Nourry a commencé son projet en 2010 en Inde. Dans les rues de Delhi la capitale, elle a déposé des sculptures hybrides, moitié filles, moitié vaches : un message clair pour signifier au monde que sur ce continent l’animal est sacré alors que l’existence même de la femme est remise en question.
L’artiste reprend aujourd’hui ce thème dans son exposition du musée Guimet avec un principe simple : réaliser une œuvre contemporaine s’inspirant de sculptures anciennes datant des premiers siècles de notre ère. Ses statues, ses figurines, sont intégrées aux œuvres du musée, dispersées dans les étages, mélangées aux époques et aux continents.


On retrouve ainsi ce personnage mi-vache mi-femme faisant face à des sculptures anciennes comme la déesse Sakti symbolisant l’énergie féminine. Et la divinité regarde cette étrange créature née de l’imagination de l’artiste qui symbolise la condition de la femme en Asie.

« La main de Siva » (7ème siècle) fait face à l’œuvre de l’artiste. (c) PR.

Prune Nourry s’attache aussi aux membres du corps, ce qu’elle appelle les « paysages corporels » comme cette main de Siva, seigneur de la montagne accueillant les flots du Gange et datant du 7ème siècle, qui fait face à l’une de ses propres sculptures. L’ensemble de son travail apparaît ainsi comme un dialogue, un échange entre les collections du musée et ses propres créations. A des siècles d’écart, les œuvres se répondent mais toujours avec cette obsession du sort de la femme en Asie et dans le monde. L’artiste va même jusqu’à poser la question : « Qu’en aurait-il été du sourire du bouddha s’il avait été une femme ? »
Philippe Rochot

Expo « Carte blanche à Prune Nourry » : Musée Guimet, Paris. Jusqu’au 18 septembre 2017.

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