Paris XIème, 50 rue de Charonne, l’esplanade Gilles Jacquier. (Ph Rochot)
A l’heure où les journalistes sont régulièrement montrés du doigt et les médias sous le feu constant de la critique il est rassurant de voir que l’on rend hommage à des reporters qui ont payé de leur vie leur volonté de nous informer sur les conflits du monde.
Gilles Jacquier faisait partie de ceux-là, tombé caméra au poing le 11 janvier 2012 lors du bombardement d’un quartier alaouite de Homs (Akrama el Jedida) contrôlé par les forces de Bachar el Assad. Cinq ans après, le mystère demeure encore sur les circonstances exactes de sa mort.
D’emblée les rebelles ont été désignés comme responsables. Ils auraient dit-on repéré le convoi de voitures et tiré sans savoir qu’il s’agissait d’un groupe de journalistes. Une source « proche du dossier » au ministère français de la défense et citée par le Figaro affirme même dès le début: «Les analyses balistiques et les renseignements recueillis sur place par nos sources juste après le drame indiquent que Gilles Jacquier a été tué d’un tir d’obus de mortier de 81 mm venu d’un quartier sunnite rebelle ».
Mais rapidement cette thèse est mise à mal par les témoignages de journalistes présents sur place dont sa compagne Caroline Poiron, reporter-photographe. Elle donnera sa version des faits en juin 2013 dans un livre intitulé « Attentat Express : qui a tué Gilles Jacquier ? » (cosigné avec les journalistes Sid Ahmed Hammouche et Patrick Vallélian, présents sur place),
L’ouvrage accuse le régime syrien d’avoir planifié la mort du cameraman de France2. Il apporte des détails troublants, précisant par exemple qu’au moment de l’attentat, les forces syriennes de sécurité qui encadraient le convoi s’étaient retirées ou que les rebelles d’en face ne possédaient pas de mortier de 81mm dont les éclats auraient pu tuer Gilles Jacquier.
Famille résidant au rez de chaussée de l’immeuble de Homs où Gilles Jacquier a trouvé la mort. (Capture écran F2.)
Plusieurs reportages ont été tournés durant le bombardement par différentes équipes de télévision. On est frappé par le fait que l’on retrouve les mêmes personnages sur les différents lieux visités avant l’explosion mais qu’aucun ne portera assistance à Gilles aux dires de sa compagne.
Dans un entretien accordé à Paris-Match le 29 juin 2013, Caroline Poiron détaille la topographie des lieux : « Sur les images, on voit les traces d’impacts dues à l’explosion et un fait troublant: le mur et la porte bleue derrière lesquels se trouvait Gilles sont intacts. Cela nous fait remettre en question la thèse du mortier. Cinq experts de différentes nationalités nous ont permis de confirmer ces conclusions. De nombreux témoignages directs concordent pour dire que nous avons été manipulés: notre visite était programmée, nous ne pouvions pas faire un pas de côté ».
Il est vrai que l’endroit était en principe hyper-protégé. Quelques heures auparavant, le général Chawkat, beau-frère de Bachar el Assad se trouvait sur place. Dans une interview au Dauphiné à l’occasion de la sortie de son livre, Caroline Poiron précisera : « Il paraît limpide que Gilles n’est pas mort d’un tir de mortier ou de l’explosion d’une grenade, mais dans un face à face, dans le couloir où il se tenait lors de l’explosion. »
Aujourd’hui, l’immeuble au pied duquel a été tué Gilles Jacquier a été rénové, l’impact d’un obus sur le trottoir a été cimenté, mais les rideaux métalliques des commerces portaient encore des traces d’impact d’obus de mortier, trois ans après le bombardement. C’est le constat qu’a pu faire l’envoyé spécial de France2 au Proche-Orient, Franck Genauzeau qui a recueilli le témoignage de la famille vivant au rez de chaussée de l’immeuble à l’entrée duquel Gilles Jacquier a trouvé la mort. « Un obus est tombé et ma fille suivait Gilles. Elle est partie se cacher, c’est à ce moment-là qu’il a été fauché par l’explosion sur le pas de la porte » dit la mère.
Le document fourni par le régime affirme que ce sont les rebelles qui ont tué Gilles Jacquier, mais aucune preuve ne vient étayer les faits.
« En trois ans, l’enquête se résume à une vingtaine de pages et treize jours d’investigation, c’est maigre. Ca n’est clairement pas la priorité du régime de Bachar Al Assad, qui est toujours en guerre », expliquait Franck Genauzeau.
A droite le père de Gilles Jacquier, famille et amis. (Ph Rochot).
Une esplanade du XIème arrondissement de Paris porte donc à présent le nom de Gilles Jacquier: un espace grand comme un terrain de tennis. Le passant prendra-t-il conscience que l’endroit rend hommage à la mémoire d’un reporter décédé en mission ? « En lui rendant hommage, en donnant son nom à une esplanade, nous l’inscrivons dans le quotidien des gens. Il ne sera pas oublié », indiquait la Mairie de Paris. Le reporter « est mort pour que vive la liberté d’informer, pour que vive la liberté de la presse, pour que nous sachions ce qui se passe en Syrie », soulignait le député PS Patrick Bloche.
Gilles Jacquier aurait-il souhaité qu’une esplanade à Paris porte son nom ? Qui sait ? L’essentiel est sans doute que son souvenir demeure coûte que coûte, comme celui des journalistes qui tomberont quelques semaines après lui sur le front de Homs : Rémi Ochlik et Marie Colvin. Depuis le début de la guerre en Syrie, plus de soixante reporters ont trouvé la mort.
Philippe Rochot
Pour mémoire: le livre de Caroline Poiron: « Attentat Express ».
son souvenir doit nous obliger à nous « battre » pour que le métier de reporter continue fait par des professionnels, c’est la seule garantie d’une information véritable
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