De la répression de Tiananmen, au bain de sang de la place Tahrir… Philippe Rochot

Matin calme à Tienanmen… 2005.

Les médias occidentaux, les militants des droits de l’homme, les intellectuels, commémorent chaque année le « massacre du 4 juin 1989 » sur la place Tiananmen à Pékin. Evoquera-t-on dans l’avenir avec autant de passion le « massacre de la place Tahrir » du 15 aout 2013 et ses 900 morts, en plein cœur de la capitale égyptienne ? Pas sûr. Après la répression de Tiananmen en 1989, un embargo sur les livraisons d’armes à la Chine avait été décrété. Il est même toujours en vigueur. La répression de la place Tahrir en août 2013, a boosté au contraire les ventes d’armes à l’Egypte du général Sissi.
C’est devenu un grand classique dans les rédactions parisiennes, un événement incontournable qu’il faut rappeler chaque année : la répression du mouvement de la place Tiananmen à Pékin, qui fit entre 200 et 3000 tués dans la nuit du 3 au 4 juin 1989… 26 ans après, on ignore toujours le nombre exact des morts. Le pouvoir chinois s’est enfermé dans le mutisme et le négationnisme et ne reconnait pas même l’événement. 10% seulement des étudiants des universités de Pékin, connaissent l’image-symbole de la répression du 4 juin : cet homme seul, face à la colonne de blindés sur l’avenue Chang’an…

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Tiananmen, la place la plus surveillée du monde (Ph Rochot)

Les victimes sont pourtant bien réelles : une association clandestine baptisée « familles des victimes de Tiananmen » et conduite par Ding Xilin, dont le fils a été tué, a recueilli plusieurs centaines d’adhérents. A Pékin, la surveillance de la plus grande place du monde (sept fois la place de la Concorde) haut-lieu de la contestation est chaque année renforcée, avec force caméras et indics sur le qui-vive. Les journalistes occidentaux qui cherchent à recueillir des impressions sont bousculés, écartés, expulsés des lieux

La bataille se déroule à présent sur le Net. Des internautes déjouent la censure, cette « grande muraille électronique » qui tente de filtrer et d’intercepter les sites non-politiquement corrects… Sur Weibo, le Twitter chinois, plusieurs dizaines de mots associés à l’événement comme : « Tiananmen » – « 4 juin 1989 « , « ce jour » ou « tank man », débouchent sur la phrase sans cesse répétée : « cette page ne peut être affichée ». Pour contourner l’obstacle, les internautes font aussi référence au « 35 mai ». Mais ce « nom de code » est censuré lui aussi.

Déjouer la censure est devenu un jeu pour les internautes chinois, les journalistes occidentaux et les militants des droits de l’homme. C’est une manière de défier le pouvoir en place, de montrer du doigt le talon d’Achille de cette deuxième puissance mondiale qui ne cesse de s’imposer, de prendre nos marchés, de grignoter un peu plus notre souveraineté, de nous donner des leçons. La défense de la cause des étudiants chinois, la réhabilitation de « la déesse de la démocratie » et ce rappel historique régulier des massacres du 4 juin, ne peuvent être qu’un noble combat et l’occident s’y engouffre avec délectation…

Environs de la place Tahrir au Caire: août 2013. Photo: LeMonde.fr: Hassan Ammar.

Plus suspect est le combat des « martyrs » de la place Tahrir en Egypte, avec le coup de force du général Sissi contre les frères musulmans… Rappelez-vous les manifestations pour ou contre le président Mohammed Morsi, lui-même issu de la confrérie. Le 15 aout 2013, l’armée décide de disperser par la force les manifestants pro-Morsi. 637 personnes sont tuées, chiffre reconnu par le ministère de la santé et qui grimpe à 900 morts quatre jours plus tard selon « Amnesty International. » La seule dispersion du Sit-in de la place « Rabaa al-Adawiya » a fait  377 morts. Aujourd’hui encore, plus d’une centaine de condamnés attendent dans le couloir de la mort, sans que leur sort ne suscite grande émotion de par le monde.

Pour l’occident, la cible du Caire est très différente de celle de Pékin. En Egypte, pas de héros, pas de « tank-man », pas de « déesse de la démocratie », juste une révolution soutenue par les médias et les chancelleries occidentales et qui a « dérapé » à leurs yeux, puisqu’elle a abouti à faire élire un candidat des « Frères musulmans », Mohamed Morsi. Prise du pouvoir et reprise en main, rétablissement de l’ordre militaire par le général Sissi, apparaissent donc comme une mesure de soulagement : l’Egypte, société militaire, retrouve sa place dans le concert des nations, reçoit une aide financière substantielle de l’Arabie et 24 avions français Rafale de combat, pour l’aider à faire respecter sa souveraineté jusque chez le voisin libyen.

Après la répression de Tiananmen de 1989, un embargo sur les livraisons d’armes à la Chine avait été décrété. Il est toujours officiellement en vigueur. La répression de la place Tahrir en août 2013, a boosté au contraire les ventes d’armes à l’Egypte du général Sissi. Dans pareil contexte international, les morts de la place Tahrir ne pèsent pas lourd. Moins lourd en tout cas que ceux de la place Tiananmen.

Philippe Rochot

3 réflexions sur “De la répression de Tiananmen, au bain de sang de la place Tahrir… Philippe Rochot

  1. On peut effectivement parler de l’Égypte comme vous le faites, mais de toute façon, on ne changera rien à sa situation qui est plombée de l’intérieur. Le pays connait une crise malthusienne sans précédent dans l’histoire du monde, du fait de sa surpopulation et donc de l’inadéquation population-ressources. Du fait que les égyptiens ne disposent que de 5,5% de leur territoire pour vivre et produire, la densité « de vie » y est déjà supérieure à 1.500 hab/km² (ce qui correspond à une France à 830 millions d’habitants). Et la situation ne va pas s’arranger, puisque la population continue d’exploser. L’Égypte importe déjà la moitié de ses céréales et elle est sous perfusion internationale pour avoir choisi le camp occidental dans le conflit israélo-palestinien. Tant que la population ne décroîtra pas (et fortement) le pays sera sous un joug autoritaire, qu’il soit militaire ou islamiste.

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