« Je vous écris de Téhéran », l’Iran vécu de Delphine Minoui… Philippe Rochot.

Il est acquis que l’homme cherchera toujours à retrouver ses racines. Celles de Delphine Minoui, de mère française et de père iranien sont à la fois dans l’hexagone et dans cette Perse qui a toujours fasciné l’occident . L’auteure appelle cela « le virus de l’iranité » et se jette avec passion dans ce pays si déroutant pour nous, méconnu, trompeur…

23 Iran révolution_1979

Téhéran, novembre 1979: prière à l’Université durant la détention de 53 diplomates à l’ambassade américaine. (photo Ph Rochot)

Le fil conducteur de l’ouvrage, « je vous écris de Téhéran » est une lettre posthume adressée à son grand-père à qui elle raconte ses découvertes, ses impressions, ses épreuves…

« Vue de l’occident, la république islamique est souvent perçue comme une puissance menaçante, prête à exporter la révolution, à frapper Israël avec ses missiles et à fabriquer sa bombe. Mais après plusieurs années dans ton pays, je prenais conscience que pour les Iraniens la lecture de leur histoire contemporaine était une suite de complots souvent menés par l’occident… »
Mohamed Khatami,  président de 1997 à 2005, un espoir en son temps pour l’Iran.

Etre attachée à la culture iranienne n’était guère aisé dans la France des années 80, alors que le Chah venait d’être renversé et que l’ayatollah Khomeiny s’était installé au pouvoir. L’occident soutenait le dictateur irakien Saddam Hussein dans sa guerre contre la république islamique et l’Iran des mollahs et des gardiens de la révolution était montré du doigt dans les attentats de Paris ou les prises d’otages:                            « La description de l’Iran dans la presse française se résumait à trois mots : islam, tchador et terrorisme. »

Quand on est journaliste et qu’on a pareilles attaches avec une terre lointaine, l’envie est forte de se jeter dans l’actualité d’un pays en pleins bouleversements, tiraillé entre dictature et démocratie, entre conservateurs et réformistes. Dans cet Iran où elle débarque pour une semaine de reportage en 1997, elle va rester plus de dix ans, pleine d’espoir pour l’homme qui vient de s’installer au pouvoir : Mohamed Khatami.

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L’Iran que nous fait découvrir Delphine Minoui n’est pas seulement fait de mollahs et de « bassidjis », ces miliciens chargés de la sécurité intérieure, mais aussi et surtout d’une jeunesse qui veut vivre, consomme musique, danse, flirte, fréquente les quelques cafés branchés et cherche à se dégager du régime. « Depuis peu, les couples non mariés s’affichaient dans la rue, ils se tenaient même par la main. C’était ça aussi, l’effet Khatami écrit-elle… En vingt ans, le nombre d’étudiants avait doublé. Avec plus de deux millions d’inscrits à l’université et un taux d’alphabétisation de 80%, la nouvelle génération constituait la principale menace au régime qui l’avait engendrée.. »

Le lecteur sera surpris de découvrir la vie cachée de Fatimeh femme d’un « bassidji » pur et dur, frappée de plein fouet par la modernité, la mode, les tenues sexy exhibées dans des réunions privées entre filles. Les personnages surprenants que Delphine Minoui nous fait connaitre ont pour nom Hossein Khomeiny, petit-fils de l’ayatollah, fervent partisan de l’intervention américaine de 2003 en Irak et favorable aussi à une intervention américaine en Iran pour y renverser le régime… Le livre nous fait croiser de nombreux défenseurs des droits de l’homme qui ont payé de leur sang et de leur liberté leur volonté de transformer le régime. L’auteur va même à la rencontre de la communauté juive qui sera la première à faire les frais des déclarations antisémites et négationnistes du président Ahmadinejad. Ces juifs d’Iran que l’on rencontre aisément aujourd’hui sur les marchés de Jérusalem étaient plus de 70.000 en Iran quand Khomeiny est arrivé au pouvoir. Ils sont aujourd’hui dix fois moins.

Minoui Téhéran

Mais l’itinéraire de l’auteur est au moins aussi attachant que celui des personnages qu’elle nous fait découvrir. Constamment harcelée par les services de renseignement iraniens qui tentent de l’intimider en refusant de renouveler sa carte de presse, en la convoquant pour des interrogatoires, en pillant même son studio parisien pour en voler l’ordinateur, bref en utilisant ce qu’elle appelle « le kit d’intimidation du reporter », elle n’en continue pas moins de témoigner. « Plus l’Iran me maltraitait écrit-elle, plus j’en redemandais, comme une femme battue qui refuse de reconnaître ses cicatrices».

Delphine Minoui va placer tous ses espoirs dans les réformistes susceptibles de faire basculer le pays vers une démocratie à laquelle aspirent tant d’Iraniens. Espoirs souvent déçus, surtout quand le très conservateur Ahmadinejad arrive au pouvoir à partir de 2005 après les années Khatami et vole sa victoire à Hossein Moussavi en 2009. On comprendra sa déception mais nous gardons en tête le slogan que lançaient des dizaines de milliers d’Iraniens au lendemain de ces élections truquées : « où est mon vote ? ».

la vague verte 2009Image naïve de la « révolution verte »… (affiche d’un film: Iran 2009, l’insurrection verte – Ali Samadi Ahadi)

Delphine Minoui et son mari Borzou, lui aussi d’origine iranienne, tiendront jusqu’au bout, jusqu’à découvrir à la télévision et dans la presse du régime qu’ils étaient clairement pointés du doigt : « les médias occidentaux dépêchent leurs reporters bi- nationaux en Iran pour espionner et glaner des informations illégalement ». Le retour de bâton, la revanche d’Ahmadinejad et de ses hommes de main étaient donc sans appel. Il fallait quitter l’Iran.
On pourra se rassurer en apprenant à la fin du récit que l’auteure et son époux sont retournés en Iran, avec leur fille Samarra au printemps 2014, alors que Hassan Rohani dirigeait le pays et prônait l’ouverture et le dialogue.
Philippe Rochot

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Delphine Minoui est lauréate et membre du Jury du prix Albert Londres pour ses reportages en Iran et en Irak. Elle est grand-reporter, correspondante du Figaro au Moyen-Orient. Après Téhéran et Beyrouth, elle vit aujourd’hui au Caire. Elle est également l’auteur des Pintades à Téhéran (Jacob Duvernet), de Moi, Nojoud, dix ans, divorcée (Michel Lafon), et de Tripoliwood (Grasset)

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