Berlin, la fête au mur: nov 1989… (Ph Rochot)
Ce matin du 9 novembre 89, nous avions commencé à filmer très tôt à l’hôpital central de Berlin-est. Situation alarmante : une bonne partie du personnel médical a déjà fui à l’ouest en passant par la Hongrie ou la Tchécoslovaquie, sans attendre l’éventuelle ouverture du mur de Berlin. Il suffit de déclarer qu’on part en vacances dans l’un de ces deux pays qui viennent d’ouvrir leurs frontières avec l’Allemagne ou l’Autriche, et le tour est joué. 60.000 citoyens est-allemands ont déjà profité de cette combine depuis le printemps. A Berlin-est, il n’y a donc plus guère de chirurgiens dans les hôpitaux et les infirmières commencent à faire défaut.
Berlin: « tailler son souvenir dans le mur »… Nov 1989. (Ph Rochot)
Le congrès du parti communiste est-allemand, le SED boucle une semaine de travaux. Le porte-parole Günter Schabowski vient d’annoncer de façon laconique que les citoyens est-allemands sont autorisés à voyager partout où ils le veulent. Autrement dit, c’est la fin du mur… J’ai l’impression que nous allons vivre un moment historique sans vraiment pouvoir le définir. Notre premier réflexe est de foncer à la porte de Brandebourg, symbole de Berlin, qui marque le partage de l’ancienne capitale du Reich, mais il n’y a personne.
Le no man’s land entre Berlin-ouest et Berlin-est: 1989. (Ph Rochot)
Les gardes-frontières sont à leurs postes, les projecteurs éclairent l’édifice. Tout est calme.
La plupart des gens rentrent du travail et ne savent rien. C’est nous les journalistes qui leur apprenons qu’ils peuvent à présent passer librement à Berlin-ouest, mais ils ne nous croient pas. A mesure que le temps passe la foule se presse pourtant autour des points de passage et les « vopos », les agents de la police du ,peuple finissent par céder.
Trabant à la poubelle: Berlin-est…1989
A 22 heures, les fameuses « Trabant », les voitures du peuple, faites de plastique et de carton-pâte, font leur entrée à Berlin-ouest. Elles sont arrosées au Champagne par des groupes de jeunes particulièrement excités qui grimpent sur le mur à la porte de Brandebourg. Les « vopos » regardent faire sans intervenir.
Il y a quelques heures encore une telle scène était impensable. Car le mur imposait la discipline et le respect. Il vous renvoyait au visage les aspects les plus durs de la guerre froide. Pour les dirigeants est-allemands, ce mur de Berlin n’était pas une frontière mais un « rempart de protection antifasciste » destiné à protéger la RDA contre «l’ émigration, l’espionnage, le sabotage, la contrebande et les agressions en provenance de l’Ouest ». L’objectif était en réalité d’empêcher les citoyens allemands de la zone occupée par les soviétiques, de passer dans le camp de la liberté, dans les secteurs tenus par les forces françaises, britanniques ou américaines…
Le mur à Bernauerstrasse: décembre 2012 (Ph Rochot)
A présent, un flot continu d’allemands de l’est passe de l’autre côté du mur, comme si la capitale de la RDA était en train de se vider. Nous voyons des familles avec des enfants à moitié endormis passer à l’ouest pour quelques heures seulement afin de pouvoir dire : « nous y étions ! » Un père de famille me montre le bébé d’un mois qu’il porte dans ses bras et me lance : « regardez ! c’est le plus jeune citoyen est-allemand qui va franchir le mur ! ». Un ramoneur m’annonce fièrement qu’il va passer la nuit à l’ouest, mais qu’il reviendra à l’aube car il a du travail. De jeunes allemands de l’est, ivres d’alcool et de joie se tiennent par l’épaule en passant la barrière, désormais levée en permanence. De l’autre côté, un petit groupe se défoule en cassant le mur à coups de marteau et en utilisant un pylône comme bélier. La police des frontières est dépassée et ne réagit pas.
L’hommage aux fugitifs tombés lors du passage du mur: 1990. (Ph Rochot)
Malgré ses 3, 60 mètres de hauteur, ses 160 km de long et ses 300 miradors, plus de 5000 fugitifs ont réussi à passer à l’ouest durant la guerre froide en inventant toutes sortes d’astuces qui vont du tunnel creusé à la petite cuillère, jusqu’au passager caché sous le châssis d’une voiture. Une semaine avant ce 9 novembre 1989, un homme a encore tenté de fuir à l’ouest, accroché par les deux mains à un ballon artisanal. Malheureusement, les courants ascendants l’ont fait monter à près de 3000 mètres. Il a lâché prise au-dessus de Berlin-ouest et s’est écrasé sur le sol de la liberté.
Philippe Rochot
Extrait de « Grands reporters carnets Intimes ». Berlin, ma nuit la plus longue: Philippe Rochot, Editions l’Elocoquent. 21 récits recueillis par Elise Dürr. Préface de Jean-Claude Guillebaud/