Chaque séance de projection à « Visa pour l’image» commence immanquablement par la liste des reporters tombés au champ d’horreur… morts sur le terrain, en détention, ou pris en otage. Pas réjouissant, mais peut-il en être autrement ?
L’exécution de Steven Sotloff, deuxième otage américain égorgé en plein désert syrien par les terroristes du groupe « Etat islamique » est venue frapper de plein fouet ce 26ème festival. La tradition à Visa, veut que les premières images projetées sur un écran de 28 mètres de long, égrènent les malheurs que le monde vient d’encaisser.
Entre les attentats suicide contre les chrétiens d’Irak, les bombardements en Syrie, ou les affrontements en Libye, la matière ne manquait pas. « Visa pour l’image montre la violence car le monde est violent » dit fataliste Jean-François Leroy, le patron du Festival.
Casquette et béret basque… Nos photoreporters vietnamiens vendent leurs livres « Ceux du Nord’. (Photo Ph Rochot)
Trois photoreporters vietnamiens nous présentent pourtant une autre façon de traiter la guerre, celle qui fut la leur, le Vietnam des années 70.. Pas de visages torturés, pas d’images arrêtées sur des expressions de haine ou figées sur des actions brutales, mais un regard sincère et innocent sur le combat qui fut celui de tout un peuple. Les images de Doan Cong Tinh, Chu chi Thanh, Mai Nam et Hua Kiem, exposées au couvent des Minimes étaient bien sûr destinées à servir la propagande communiste, mais quelle fraicheur dans le regard, quelle générosité dans la démarche, quelle recherche esthétique pour mettre en valeur l’idéal que représentait pour les nord-vietnamiens cette « guerre de libération. »
Perpignan, images de « ceux du nord-Vietnam ».dans les rues… (Photo Ph Rochot)
On doit cette expo à Patrick Chauvel qui rencontra ces modestes photographes vietnamiens à l’occasion d’une conférence à Hanoi et réalisa que les grands reporters occidentaux comme Larry Burrows, Philip Jones Griffith ou Jean-Claude Labbé, n’avaient pas été les seuls à couvrir ce conflit. De l’autre côté il y avait « ceux du Nord », des « soldats reporters » dont l’appareil, sans doute un « Zénith » de fabrication soviétique, était une arme de guerre. Et pourtant pas de sang, pas de cadavre, pas même celui d’un soldat américain : des images soft mais militantes, traitant la guerre comme la défense pour un idéal..
Les expos sur les conflits actuels montrent à quel point le traitement des images de guerre a changé. Le visiteur n’échappe pas à l’Ukraine et au siège de la place Maïdan, spectaculaire, photogénique, forcément tragique et que Guillaume Herbaut est sans doute le meilleur photoreporter à avoir mis en valeur. La preuve ? Il expose au Couvent des Minimes, le fin du fin pour un photoreporter, l’aboutissement d’une carrière…
Des images choc ? On en trouve à la pelle, comme celles des massacres de Centrafrique ou du typhon Haiyan aux Philippines . Des images évidentes pour celui qui a le mérite et la chance d’arriver sur place quelques heures après le passage de la tornade meurtrière.
Victimes du cyclone Haiyan: prix du World Press (Photo AFP)
Mais au-delà des photos de News spectaculaires et qui s’imposent, on doit chercher plus loin l’idée maîtresse qui a conduit les reporters à documenter les sujets présentés. Il faut de la persévérance pour traiter le problème des agressions sexuelles dans l’armée américaine, comme le fait la photographe Mary Colvert. Il faut de l’imagination et des contacts pour s’embarquer à bord du « train des oubliés » de Russie, qui va du Baikal au fleuve Amour, comme le fait William Daniels. Il faut enfin penser aux murs qui séparent encore les hommes pour photographier la vie sur cette frontière de quatre mètres de hauteur qui sépare le Bangladesh de l’Inde, comme le fait Gaël Turine.
Mais la recherche du bon thème et de la bonne idée n’est pas le privilège des grands photographes. En fouillant dans la liste du festival « off », celui des oubliés du Couvent des Minimes, ceux qui exposent dans les bars, les restaus, chez les coiffeurs ou dans les magasins et qui s’imposent depuis bientôt vingt ans sur la scène de la cité, on trouve souvent des idées simples et donc géniales.
On peut citer ce collectif de paysans maliens qui expose dans un modeste restaurant des photos de cultures irriguées et veut nous prouver que le Mali, c’est autre chose que le terrorisme. On fera volontiers le détour par la place de la République pour voir un autre regard sur l’Afghanistan, celui de Karolina Samborska : pas de soldats US en patrouille ou de talibans en arme mais des gens, de la vie et une douceur qu’on ne montre plus dans les reportages sur ce pays.
Visa 2014 nous rappelle ainsi que la photographie n’est pas forcément l’image choc prise en plein cœur de l’action mais que l’idée qui l’inspire et la démarche qui va mener à la prise de vue sont des éléments essentiels du message qui sera transmis.
Philippe Rochot
Peut-on avoir plus de renseignements sur cette « frontière de quatre mètres de hauteur qui sépare le Bangladesh de l’Inde » voire se procurer cette photo de Gaël Turine ?
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http://expo-foto.fr/photographe/gael-turine/
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Merci Philippe pour ton article en effet je me souviens que le plus fort pour moi était à Kaboul de vouloir filmer la vie quotidienne mais il n’est resté malheureusement que des images de tanks et de Russes dans le bazar. Le grand reportage n’est pas à 10 000km mais à côté de soi.
Merci pour ton analyse pertinente.
Je t’embrasse et portes toi bien.
Amitiés
Dann
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MERCI Monsieur ROCHOT pour cette visite commentée atypqiue de Visa In et OFF de Perpignan. Votre portrait des photo-reporters vietnamiens dédicaçant leur livre à la terrasse d’un lieu public est très douce.Visa c’est un peu ceci: »Comment va le monde?il va » mais comme dans certaines chansons du XXème siècle nous ne pouvons pas occulter sans cesse les désordres qui l’animent.Ceci dit il est nécessaire de les équilibrer avec les joies comme cette exposition de cette portraitiste polonaise où le bleu des burkas répond au bleu du ciel et passent les colombes blanches pleines d’espoir.
Pour le typhon,j’étais sur Hué et Da Nang quand il s’approchait après avoir ravagé Les Philippines ce que la TV vietnamienne nous a montrés au moins dès le dimanche matin avec des images fortes vues quand nous étions confinés à l’hôtel White Snow.Nous?nous quelques occidentaux et surtout des familles vietnamiennes avec une multitude d’enfants venues se réfugier pour éviter blessures ou pire lors du passage des éléments sur leurs maisons exposées du front de mer.De la chance?d’une certaine façon oui car le Viet Nam a des infrastructures tellement plus performantes et protectrices que celles équipant les îles est des Philippines ;car cela m’a permis de belles rencontres,avec des familles locales,avec un cinéaste vietnamien travaillant en France mais enseignant encore au pays de ses origines;avec la diversité de ce peuple que je pars régulièrement aider en courtes missions humanitaires médicales…Et de la baraka,car le typhon dans la nuit du samedi au dimanche a tourné d’1/4 de tour,remontant en la longeant la côte est du pays et allant taper Nam Dinh (de l’hôpital d’où j’arrivais),Hai Phong,la baie d’Ha Long et la côte sud de la Chine,en faisant peu de victimes d’après les chiffres des ministères concernés.Mon reportage sera-t-il un jour montré ,sortant de sa carte numérique vue confidentiellement jusque là?peut-être pour contre-balancer la ligne rédactionnelle de Jean-François Leroy encore trop souvent alarmiste voire voyeuriste,mais dans l’air du temps de beaucoup de rédactions à voir l’exposition sur « ces amateurs dont les clichés ont fait la Une ».Et surtout paraître moins pédant que certains reporters AFP sur Tacloban et Leyde,îles démâtées.Heureusement le second reportage du In sur le typhon Haiyan ,à la chapelle du tiers ordre,montrait un regard humaniste sur les populations concernées.Et je sais que ce photographe-là retournera fêter le premier anniversaire de ce terrible évènement pour voir la vie reprise et l’économie locale repartie.La vie reprend en général vite le dessus,vous en savez quelque chose vu votre parcours d’otage.A remarquer aussi l’exposition sur la pollution en Mongolie et les dégâts médicaux liés aux usages phytosanitaires jouant aux apprentis sorciers….Le Vietnam et ses générations d’enfants nés depuis les pulvérisations massives d’agent orange en sait hélas quelque chose….d’autres zones agricoles mondiales aussi,y compris dans le département même où se passe Visa pour l’Image:ces 2 expositions-là sont péblicitées cette semaine par les scolaires en visite sur sites.Merci en tous les cas Monsieur Rochot de continuer à nous conseiller en témoignant aussi objectivement avec un ton pacifié et pacificateur.Xin ciao ou adeu (au revoir ,d’abord en vietnamien,ensuite en catalan).
Marie-Hélène VDB pédiatre de l’ONG Amphore International ,vivant et travaillant à Perpignan
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En tunisie,à sousse plus particulièrement c est très curieux. Les tunisiens n en parlent pas où si on leur en parle ils sont très gênés.il y a des salafistes arrêtés tous les jours,un renforcement très visible des forces de sécurité,mais les touristes sont la et les français qui comme moi vivent et travaillent ici y pensent bien sûr mais n ont pas peur. et pourtant le climat pré électoral et la crise économique ajoutés à ces sursauts de folie en Libye ,à nos portes ou en Algérie devraient justifier de craindre le pire
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