Il faut se frotter les yeux avant de regarder. L’armée de terre cuite de l’empereur Qin Shi Huangdi, site incontournable de toute visite en Chine, n’est plus composée de soldats mais de fillettes, moulées elles aussi dans l’argile : 116 jeunes filles exactement, qui symbolisent le déséquilibre de la natalité en Chine. Car au pays de l’enfant unique où les parents préfèrent les garçons qui s’occuperont d’eux durant leurs vieux jours, on ne compte que 100 filles pour 116 garçons.. 16 filles manquent à l’appel.
A travers ces écolières de terre cuite qui portent le foulard et l’uniforme, Prune Nourry veut dénoncer l’avortement sélectif. La malédiction de naître fille empoisonne la vie des sociétés des deux pays les plus peuplés du monde : la Chine, mais aussi l’Inde…Le message, calqué sur cette armée de terre cuite qui fait la fierté des Chinois, est fort.
Les modèles ont été choisis dans les rangs de l’association « les Enfants de Madaifu » qui veille sur l’éducation d’orphelins chinois et d’enfants des rues dans la région du Gansu. Huit fillettes ont été ainsi sélectionnées. Les statues ont été moulées par l’un de ces artisans qui peuplent la région de Xian où l’armée de terre cuite a été enterrée il y a plus de 2000 ans et qui tiennent ces petites entreprises baptisées « fabriques d’antiquités ». Mais leur métier est de mouler des soldats, pas des fillettes. Prune Nourry a dû les convaincre que pareil travail n’était pas déshonorant. Bien au contraire. L’argent récolté permettra de financer les études des huit modèles durant trois ans.
Les fillettes de terre cuite connaîtront le même destin que les guerriers de Xian et seront enterrées secrètement. Mais en 2030, elles reverront le jour. Il faudra alors se demander quinze ans après, comment a évolué la politique de l’enfant unique, si l’avortement sélectif a régressé et si la société chinoise a répondu à cette campagne lancée par le pouvoir : « appréciez les filles ! »..
Philippe Rochot
« Terra cotta daughters » Expo au 104 : 5, rue Curial Paris 19ème.