« La séance photos va durer longtemps ? demande Simone de Beauvoir à Henri Cartier-Bresson…
– Un peu plus que chez le dentiste, mais moins que chez le psychanalyste, répond HCB…
Ces témoignages sur la vie du photographe, présentés à l’exposition, nous éclairent sur les rapports intimes que le maître a entretenus avec les personnalités du monde des arts et de la culture, qui elles aussi, ont marqué le siècle. Cartier-Bresson raconte par exemple sa séance-photo avec François Mauriac où l’écrivain lui demande :
– Que dois-je faire ?
– Soyez vous-même répond HCB…
– Comme vous êtes compliqué réplique François Mauriac !
Étonnante façon d’aborder des célébrités comme Frédéric Joliot-Curie. Un mot est placé sur la porte de son domicile où il est écrit « entrez sans frapper ! » Ce que fait Cartier-Bresson qui se trouve alors face au physicien et à son épouse : « j’ai ouvert et j’ai tiré » dit-il, comme un cow-boy pénétrant dans un saloon.
Albert Camus: (Photo Henri Cartier-Bresson)
Ses rapports très directs et très proches avec les personnalités de l’époque sont révélés par une photo du peintre Henri Matisse à Vence en 1944, la tête ceinte d’un bandeau, avachi dans son fauteuil et entouré de colombes sorties de leur cage. HCB était à l’aise avec les écrivains, les artistes, un peu moins avec les vedettes de cinéma : « je n’arrive pas à photographier les acteurs car ils connaissent trop bien leur métier » disait-il.
Difficile de trouver expérience plus riche parmi les témoins du siècle passé. L’exposition qui se tient au Centre Pompidou jusqu’au 8 juin nous permet d’embrasser pour la première fois toute la carrière de l’homme avec plus de 500 photos, documents, films dessins et de « scanner » tous les aspects de son itinéraire à travers le siècle.
Dès l’âge de 12 ans, Henri Cartier-Bresson possèdait un appareil et prenait ses premières photos. Mais sa vocation première était la peinture qu’il avait apprise à l’académie d’André Lhote. « J’ai toujours eu une passion pour la peinture. Enfant, j’en faisais le jeudi et le dimanche. J’avais bien un Brownie Box comme beaucoup d’enfants mais je ne l’utilisais que de temps en temps pour remplir de petits albums avec mes souvenirs de vacances (extrait de « images à la sauvette »: 1952.
Cartier-Bresson décida de devenir photographe au début des années 1930 mais gardera toujours en tête cette passion pour la peinture et le dessin. Il y reviendra à la fin de sa vie avec des autoportraits plus ou moins réussis devant lesquels le visiteur passe assez rapidement… Car c’est avant tout son travail photographique qui attire et fascine. HCB le résume à sa manière : « une combinaison de reportages, de philosophie et d’analyse sociale et psychologique ».
Tout cela est contenu dans ces photos jaunies, souvent de petits formats qu’il a parfois tirées lui-même. Tous les tirages présentés sont d’époque. Le commissaire à l’exposition Clement Chéroux explique ce choix : « Jusqu’à présent, quand Henri Cartier-Bresson faisait une exposition, tout était tiré pour l’exposition. Cela donnait une idéee assez uniforme de l’œuvre. On veut montrer le parcours de Cartier-Bresson à travers le 20e siècle, que le Cartier-Bresson des années 1930 n’est pas le même que celui des années 1960. On ne peut pas figer Cartier-Bresson dans une espèce de statue immuable. »
Les congés payés: (photo Henri Cartier-Bresson)
Les admirateurs de HCB ont en tête une dizaine d’images du maître, dont celle de la bousculade d’une foule chinoise à Shanghai en 1948, qui se bat pour acheter de l’or, tandis que le régime du Kuomintang vit ses derniers jours. Mais c’est oublier des milliers d’autres clichés, comme ces premiers reportages en Afrique que réalise Cartier-Bresson, alors qu’il n’a guère plus de vingt ans: le Niger, le Cameroun, le Togo, la Côte d’Ivoire et ses pêcheurs franchissant la « barre »….
C’est aussi le début de son engagement anticolonialiste et le point de départ de centaines d’autres reportages qui le conduiront sur les combats de la guerre d’Espagne, les champs de bataille de la deuxième guerre mondiale, les parades ouvrières au pays des soviets où la foule brandit les portraits de Marx et de Staline …Car HCB se déclare communiste. Photographe peut-être, mais aussi militant du Parti. D’où une certaine tendresse dans son regard sur la vie quotidienne dans les pays placés sous le signe de l’étoile rouge : Russie, Chine, Mongolie etc..
Shanghai, 1949, derniers jours du Kuomintang: les habitants tentent de changer leur argent en or..
Dans ses reportages en Union soviétique, Cartier-Bresson expérimente pour la première fois la couleur, sans être convaincu que cet élément puisse aller au-delà du message que nous transmet l’image noir et blanc. « Pour moi, la couleur est un moyen très important d’information, mais très limité sur le plan de la reproduction, qui reste chimique et non transcendantale, intuitive comme une peinture . A la différence du noir, donnant la gamme la plus complexe, la couleur n’offre qu’une gamme tout à fait fragmentaire ».
HCB au Centre Pompidou jusqu’en juin…
La rétrospective du centre Pompidou n’oublie aucun aspect de son itinéraire. Là est sans doute sa richesse. On y voit même HCB dans les films de Jean Renoir, tantôt assistant, tantôt acteur. Il estimait que le cinéma était porteur d’un message très fort, peut-être plus que la photo. C’est pourtant grâce à l’image fixe, à ces milliers de scènes de vie saisies au hasard de ses reportages et de ses voyages, que son œuvre restera dans nos mémoires.
Philippe Rochot