Le jésuite est une mine d’or pour un journaliste. Il possède la connaissance des populations et du pays où il vit, il maitrise la langue et recueille souvent les confidences des fidèles. Le père Paolo Dall’Oglio, installé depuis trente ans en Syrie fait partie de ces personnages-clé qu’on écouterait parler durant des heures. Six mois après sa disparition, un rassemblement de soutien sur le « parvis des droits de l’homme » à Paris a regroupé près de deux cent personnes. C’est beaucoup quand on sait que l’intéressé n’est ni Français ni journaliste… Mais sa forte personnalité, l’indignation face à sa disparition, ont déplacé fidèles et amis dans la plupart des capitales européennes pour demander sa libération.
Couvent de Mar Moussa (photo Le Monde)
Le père Dall’Oglio s’était investi comme aucun ecclésiastique dans la guerre en Syrie. Il prêchait le dialogue islamo-chrétien et livrait même cet enseignement au couvent de Mar Moussa au sud de Damas. Son soutien à la rébellion lui a valu d’être expulsé du pays par les autorités en juin 2012. Mais l’homme est revenu vivre en « zone libérée », à Rakka, devenu fief islamiste de la révolte arabe…Il s’est même lancé dans la négociation pour la libération d’opposants au régime, des Kurdes notamment, détenus par le groupe le plus radical qui a capturé les quatre journalistes français: « l’Etat islamique en Irak et au Levant ». En juillet dernier il devait rencontrer un chef djihadiste ; on ne l’a jamais revu.
Ces combattants au drapeau noir auraient dû pourtant fraterniser avec cet homme qui se disait sensible à leur soif de justice. Mais ces défenseurs de la loi islamique vivent dans un autre monde. Ils ne veulent pas de dialogue avec l’opposition syrienne libre et encore moins avec un prêtre qui pour eux appartient au monde des croisés et des mécréants. Un brin provocateur, le père Paolo se qualifiait pourtant lui-même de djihadiste et expliquait pourquoi dans un entretien au « Monde des religions » : « Le djihad peut être aussi, pour le croyant, l’effort sur soi-même pour se perfectionner moralement. Un djihadiste, c’est quelqu’un qui fait le djihad ; il peut être un djihadiste armé ou un djihadiste spirituel. Je suis un djihadiste. Il faut comprendre que c’est un mot positif, saint, et il faut l’utiliser comme tel. »
Paris, Trocadéro : 29 janvier 2014. Manifestation pour la libération du pére Dall’Oglio (Ph Rochot)
Le père Paolo possédait la fureur de vivre…. Son livre « la rage et la lumière, un prêtre dans la révolution syrienne » est celui d’un homme de combat qui n’hésitait pas à dénoncer l’inaction des chrétiens de Syrie face aux exactions du pouvoir de Bachar el Assad :« un grand nombre de chrétiens syriens est complice des crimes du régime. Ne pas manifester la moindre opposition au régime n’est pas innocent d’un point de vue moral. Cela rend complice de la structure criminelle. C’est cautionner la torture, l’homicide, la répression. Un bon chrétien peut-il agir ainsi ? ». Et Paolo Dall’Oglio n’hésite pas à citer des noms : « Le patriarche grec catholique à Damas est un acteur principal de la manipulation de l’information internationale en faveur du régime. La sœur Marie-Agnès de la Croix, qui a toute la confiance du milieu traditionaliste catholique européen, est un agent de la sécurité du régime. La grande majorité des évêques en privé, et même en public, est pour la répression. » (1)
Le père Dall’Oglio n’a donc pas que des amis, chez les chrétiens comme chez les islamistes mais le dialogue en Syrie a plus que jamais besoin d’hommes comme lui.
Philippe Rochot
(1) Entretien avec Virginie Larousse et Mikael Corre – publié le 25/06/2013)