C’est devenu une habitude : le World Press aime primer la représentation de la mort dans son côté dramatique mais aussi esthétique. L’attribution du prix à la photo de Paul Hansen sur les funérailles de deux enfants à Gaza le confirme.
La « madone de Bentalha » primée en 1998 avait déjà donné le ton. On y voyait une femme au visage marqué par la douleur et la souffrance qui venait d’apprendre la mort d’un parent dans un massacre aux environs d’Alger.
Elle était soutenue par une autre femme portant également le foulard islamique (photo recadrée par l’AFP). Les traits du visage, le corps doté d’une certaine grâce, les vêtements disposés dans une situation harmonieuse, tout donnait à l’image une haute valeur esthétique : un « copié collé » de l’iconographie chrétienne en quelque sorte…. Au-delà du symbole véhiculé, l’image de cette madone éplorée était devenue une œuvre d’art: « on dirait un tableau ! » comme aiment le dire les visiteurs des expos quand ils s’arrêtent devant une image qui les attire.
Dans le même esprit on peut remonter à la photo de Georges Mérillon, prix du World Press 1990 pour sa « pietà du Kosovo ». On y retrouve la souffrance mise en relief par la lumière, la composition de la scène et l’harmonie des personnages unis dans la douleur. Plus récemment le World Press 2012 nous offrait aussi l’image d’une « madone » en tchador portant un fils blessé durant le « printemps du Yemen ».
Ces signes et ces symboles plaisent définitivement au jury de ce Grand prix de l’image mais correspondent aussi à nos sentiments, nos croyances, à ce regard que notre civilisation et notre culture portent sur les guerres et les conflits.
La photo de Paul Hansen primée cette année au World Press entre incontestablement dans cette ligne de pensée, même si l’image ou le symbole de la vierge n’apparaissent pas. On y retrouve les corps de deux enfants enveloppés dans des linceuls blancs portés par leurs pères en larme et comme offerts à Dieu.
Du petit groupe de parents et d’amis qui accompagne les petites victimes à leur dernière demeure se dégage une impression de colère et d’impuissance face à ce fléau qui s’est abattu sur les gens de Gaza. Les retouches apportées à la photo s’inscrivent également dans cet état d’esprit. Il faut donner à la lumière un caractère divin.
Nul doute que le jury du World Press au sein duquel figurent les plus grands noms du photoreportage comme celui de Véronique de Viguerie a su examiner les limites et l’importance de cette retouche avant d’accorder le prix. Il a reconnu que les modifications étaient « conformes aux normes admises » comme le précise le règlement…
Le monde de la photo paraît pourtant condamner cette image sans en connaître le degré de modification. Car au fond les grands défenseurs de l’argentique pratiquent eux aussi la retouche de lumière : on « pousse la péloche », on voile une partie de l’image au tirage sous l’agrandisseur pour équilibrer un contraste trop fort etc. La morale de l’histoire est sans doute qu’il faut modifier l’image le moins possible. L’analyse d’Alain Mingam, lui-même lauréat du World Press en 1980 pour une photo (argentique) de l’exécution d’un traître en Afghanistan est sans appel.
« Il vaut mieux une photo imparfaite mais qui témoigne de la réalité d’un évènement sans modification, plutôt qu’une image parfaite qui se rapproche d’un tableau, pour prétendre à sa juste place en galerie ou dans un musée. »
Reste que l’événement est là dans les rues de Gaza avec ses acteurs, ses victimes, son drame qui s’inscrit dans l’histoire du Proche-Orient et surtout un témoin Paul Hansen qui était bien présent et qui a incontestablement mérité son prix…
Philippe Rochot