Combattants du Sahel: Toubous du Tibesti: 1983. (Photo Ph Rochot)
Un otage n’oublie jamais de compter les jours. C’est même son obsession principale. Les otages du Sahel voient aujourd’hui avec effroi s’allonger la liste sans que se termine leur calvaire. Depuis l’enlèvement des 4 otages d’Arlit plus de huit cent jours ont passé et bientôt 400 jours pour les deux géologues, Philippe Verdon et serge Lazarevitch. Un nouvel otage français a été capturé début décembre. La tendance n’est donc pas aux libérations.
Les échéances politiques et militaires n’ont rien d’encourageant. Envoyer 3000 soldats de la CEDEAO pour épauler une armée malienne en totale déliquescence dans le nord du pays est mal reçu par les groupes qui se partagent le territoire et qui détiennent des otages. Le seul fait que des instructeurs français soient appelés à former les unités d’intervention fait sombrer ces mouvements dans une paranoïa totale où ils dénoncent « l’impérialisme français ». Négocier avec eux est un véritable casse-tête car les tractations passent par des chefs locaux qui craignent d’être désignés comme des traitres.
Une intervention militaire directe reste très délicate. L’Algérie voisine la refuse carrément mais joue un jeu ambigu dans la région. D’un côté, Alger entretient des liens avec les islamistes Touaregs d’Ansar Dine qui contrôlent Kidal, la région où se trouvent peut-être les otages français. Mais Alger est la cible d’autres mouvements. En septembre dernier la presse algérienne sur la foi d’un communiqué, annonçait que le vice consul d’Algérie à Gao, enlevé en mai 2012 avait été exécuté par le Mujao, le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique. Le Mujao basé à Gao demandait en échange de la vie du diplomate, la libération de trois éléments d’Aqmi, arrêtés à Ghardaîa. La tractation ne s’est pas faite.
L’hostilité vis-à-vis du pouvoir algérien reste forte parmi ces groupes. Il faut se rappeler qu’ Al Qaida au Maghreb islamique est né de la volonté d’anciens membres du GIA algérien de combattre le régime militaire en place à Alger. Le mouvement est également hostile à la France, ancien colonisateur, accusée de collaborer avec le pouvoir algérien dans la traque des islamistes armés. Les meneurs sont tous d’anciens membres du GSPC, le « Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat », à commencer par Abdelmalek Drougdel, le cerveau des prises d’otages au Sahel.
Dans cette situation, la marge de manœuvre de la France est extrêmement limitée. Officiellement François Hollande ne peut pas renoncer à épauler la mission de la CEDEAO, ce serait céder à la pression du terrorisme. Il affirme qu’il n’oublie pas le sort des otages, qu’il a compris l’appel des familles mais il sait aussi que les groupes du Sahel utiliseront les otages français pour se protéger de toute intervention militaire au nord Mali. Or la mission militaire africaine n’en est qu’au stade des préparatifs. Il va falloir entraîner la troupe durant plusieurs mois. Les américains ne voient un déploiement qu’à l’automne prochain. Et pendant ce temps les otages du Mali désespèrent de retrouver un jour la liberté.
On pourrait se rassurer en se disant : ce sont les premières semaines les plus difficiles à passer quand on est otage ; ensuite, on apprend à gérer sa vie, à connaitre le comportement de ses ravisseurs, à jouer sur leurs contradictions. Mais c’est oublier qu’à mesure que le temps passe les otages s’enfoncent dans un autre monde, coupés de leurs familles, de leurs proches, de leurs amis, de leur profession et que la réalité sera d’autant plus difficile à vivre quand ils reviendront parmi nous.
Philippe ROCHOT